À flux détendu
dans l’hebdo N° 1174 Acheter ce numéro
Il est presque 15 heures, ce jeudi 20 octobre, je sors de la projection de presse de l’Exercice de l’État, le film de Pierre Schœller (cf. ci-contre), et je suis sans mots. Ce n’est pas que je ne peux pas parler. Non, je suis sans mots en moi-même. Encore sous l’effet du film, que j’avais pourtant déjà vu à Cannes et que j’ai voulu revoir avant d’écrire dessus. C’est incontestable : l’Exercice de l’État me laisse une empreinte forte.
Chacun de nous connaît cette expérience, après un film, ou un spectacle, une lecture. Certains croient que cela n’arrive plus à ceux qui voient des films pour raisons professionnelles. Heureusement, ils se trompent. Cet état si particulier, de quoi est-il fait ? Une absence de mots, oui, mais pas un silence intérieur. Bien au contraire : il s’agit plutôt d’un maëlstrom d’émotions, d’un tumulte des sens, qui nous remue, nous porte, nous renforce. On est là, comme dans une bulle de riches sensations, et l’on aimerait que ce moment se prolonge…
Mais cet état de sidération ne peut durer. À moins de se satisfaire, vis-à-vis des œuvres, de rapports solitaires, exclusifs, individualistes. C’est l’attitude, inconsciente ou non, du consommateur.
Le temps du partage est celui des mots retrouvés, où l’on transforme le chaos de ses émotions en propos raisonnés. Pour décrire, décrypter, donner ses interprétations. Confronter sa lecture à celle des autres. Être dans l’échange, l’argumentation. Sortir de la consommation (le primitif « J’aime/J’aime pas »), pour devenir un spectateur dans la société, un citoyen. Cela porte un nom : la critique. C’est un art difficile que de s’adonner à cet exercice. Il est pourtant nécessaire. Dans la presse, comme ailleurs. Tout le monde peut s’y livrer. C’est même conseillé.