André Grimaldi : « C’est une crise d’adaptation »
Démographie, financement… L’hôpital est au cœur de la tourmente frappant un système de santé qui n’est plus adapté aux nouveaux besoins. Explications et propositions d’André Grimaldi.
dans l’hebdo N° 1173 Acheter ce numéro
André Grimaldi est professeur de diabétologie à la Pitié-Salpétrière. Tête de pont du mouvement de défense de l’hôpital public, il est l’un des cinq instigateurs du Manifeste pour une santé égalitaire et solidaire (Odile Jacob).
L’hôpital est-il dans une situation critique ?
André Grimaldi : L’hôpital est au cœur d’une crise qui touche l’ensemble du système de santé. Plus de 15 % des Français renoncent à des soins pour des raisons financières. Pourtant, il n’est pas encore certain que la santé soit l’un des thèmes majeurs de la présidentielle. Les instigateurs du Manifeste pour une santé égalitaire et solidaire travaillent donc à la rédaction d’un pacte destiné aux candidats.
Cela dit, nous sommes arrivés à un point de rupture idéologique où le devoir d’efficience (« le juste soin au moindre coût » ) a été remplacé par la recherche de la rentabilité. Les hôpitaux sont entrés dans une logique marchande et se mettent à développer une politique clientéliste calquée sur celle des cliniques privés : l’AP-HP va proposer des « médecines parallèles », tel hôpital développe la chirurgie esthétique, et on fait payer l’hôtellerie avec des chambres 1re et 2e classes…
La recherche de la rentabilité n’a pas d’impact direct sur les décisions médicales – encore que certains collègues parlent de « business plan ». On sélectionne moins les malades que des pathologies. La plupart des hôpitaux privilégient ainsi la suractivité. Quand un établissement est au bord du déficit, il commence par « optimiser » son codage, et peut ainsi, en quelques mois, afficher une activité en hausse. Certains font appel à des codeurs professionnels ! La tarification à l’activité (T2A), nouveau mode de financement qui n’est adapté qu’à une partie de l’activité, standardisée, programmée, est utilisée comme une machine de guerre contre l’hôpital : elle impose un tarif unique à tous les établissements, quels que soient leurs statuts, missions, taille ou population soignée… C’est finalement un prix de marché administré en faveur des cliniques privées commerciales.
De quoi souffre l’hôpital ?
De plusieurs crises superposées. Une crise démographique, d’abord : dans les années 1970, droite et gauche ont abaissé le numerus clausus, soit le nombre de médecins formés chaque année. On est passé de 8 500 à 3 500 par an. Aujourd’hui, on est remonté à 7 000. Mais former un médecin prend des années. Pour faire face à la pénurie, les hôpitaux ont dû faire appel à 10 000 médecins étrangers – sous-payés – et recruter des médecins libéraux. À cela s’ajoute une crise des revenus : un chirurgien, anesthésiste, radiologue ou cardiologue gagne deux à trois fois plus en ville qu’à l’hôpital. Pour faire venir des spécialistes, les hôpitaux se retrouvent à louer leurs locaux, matériels et personnels à des médecins libéraux. Il y a ensuite une crise d’adaptation du système : les pathologies évoluent, la population vieillit. Face à ces besoins diversifiés, la pensée unique managériale a comme seules réponses : « médecine industrielle », « médecin ingénieur », « hôpital entreprise ». Cette médecine technicienne ne correspond qu’à une petite partie de la médecine, par exemple l’imagerie standard. La médecine des maladies chroniques, qui concerne 15 millions de personnes, en est aux antipodes.
En outre, le modèle industriel ne répond pas aux deux défauts majeurs : le manque de prise en charge globale biomédicale mais aussi psychosociale des patients, et le manque de coordination entre professionnels. Un cloisonnement dû à l’hyperspécialisation. Troisième point : la crise de financement. On est passé en 1983 d’un prix de journée à un système de dotation globale, puis en 2004 au paiement à l’acte, alors qu’il faudrait combiner les trois. La T2A en soins palliatifs, c’est de la barbarie !
Comment soigner l’hôpital ?
Il faut remplacer la convergence tarifaire privé/public par une « convergence segmentée ». Puis recréer le « service public » hospitalier (hôpitaux publics et privés à but non lucratif) que la loi Bachelot (HPST) a remplacé par des « établissements de santé » et des « missions de service public ». Il faut ensuite restructurer le secteur : les urgences paient les distorsions du système en accueillant tous ceux qui n’ont pu être pris en charge. Si les gens trouvaient des maisons médicales de garde travaillant en coordination avec l’hôpital, ils iraient moins aux urgences. Autre problème : les secrétaires médicales ont un rôle essentiel pour la coordination ville/hôpital.
Or, leurs postes sont les premiers supprimés ou délocalisés !
Il faut surtout revenir à une assurance-maladie qui rembourse comme à l’origine à 80 %, contre 50 % aujourd’hui pour les soins courants. On parle aujourd’hui de remplacer la prise en charge à 100 % des affections longue durée par un « bouclier sanitaire » qui protège moins mais plus équitablement ! Il faut aussi revoir les dépenses et ne rembourser que ce qui est utile et au prix le plus bas. Pourquoi rembourser les cures thermales ou des médicaments plus chers mais pas plus efficaces, sans parler du Mediator, qui a coûté 1,2 milliard à la Sécu ? Un système solidaire, c’est une prestation de qualité pour tous. Il ne faut pas laisser s’installer une solidarité uniquement pour les pauvres, elle deviendrait vite une pauvre solidarité.