Aubry et Hollande, le jeu des différences

Tous deux héritiers de Jacques Delors, les deux candidats ont du mal à se distinguer. En cherchant bien, il semblerait quand même que Martine Aubry soit plus écolo et plus « sociale ». La distinction émane surtout de leurs tactique et caractère respectifs, l’un considéré comme plus « hésitant », l’autre comme plus « déterminée ».

Michel Soudais  • 13 octobre 2011 abonné·es
Aubry et Hollande, le jeu des différences

Entre François Hollande et Martine Aubry, l’ambiance n’est plus à la franche camaraderie. Lundi matin, le député de Corrèze, arrivé en tête de la primaire du PS, demandait du « respect entre candidats » . La veille, alors qu’il se présentait comme « le candidat du changement » , la maire de Lille assurait vouloir « réussir un vrai changement » et non se contenter de vouloir « administrer ou accompagner le système » , intention qu’elle prête à son adversaire depuis le second débat télévisé.

Sur ce registre de l’implicite, elle déclarait aussi n’avoir pas, au cours de la campagne, « cherché à plaire ou à flatter » , ni « changé d’avis au gré des événements » , et elle évoquait l’ « expérience » et le « courage à toute épreuve » nécessaires au futur président de la République. Qualités qu’elle s’attribue tout aussi implicitement.

À entendre Martine Aubry et ses soutiens, les électeurs auraient à choisir entre le tenant d’une « gauche molle » – expression apparue dans le troisième débat télévisé sans que François Hollande ne réagisse – et la tenante d’une « gauche forte » . Divergence réelle ou positionnement tactique ?
« Tout cela est une farce » , tranchait dimanche Thierry Mandon. Le maire de Ris-Orangis, fidèle lieutenant d’Arnaud Montebourg, ne croit « pas que les différences de lignes politiques » entre les deux finalistes « soient à ce point marquées qu’il y aurait un candidat de centre gauche et que l’autre serait la vraie gauche » . Arnaud Montebourg n’a cessé de dire dans sa campagne que les deux « candidats officiels » ne sont que « les deux faces d’une même pièce » , « deux enfants – l’un spirituel, l’autre réel – de Jacques Delors » .
Difficile en effet de distinguer idéologiquement Martine Aubry et François Hollande, énarques l’un et l’autre, tous deux formés dans les cercles deloristes. Au sein du PS, ils ont défendu les mêmes textes, appartenu aux mêmes majorités. Jusqu’en 2008. Au congrès de Reims, la maire de Lille, qui présentait sa propre motion, emporte la direction du PS à la tête d’une coalition hétéroclite rejointe par la motion de Bertrand Delanoë, elle-même soutenue par François Hollande. Aubry succède à ce dernier, qui ne se représentait pas après onze ans passés au poste de Premier secrétaire. Fonction qui lui vaut d’être perçu comme un homme d’appareil alors que Martine Aubry, ministre dans trois gouvernements, de 1991 à 1993 et de 1997 à 2000, fait figure de « femme d’État » .

Ainsi associés, lui aux commandes du parti, elle au gouvernement – avec rang de n° 2 sous Lionel Jospin –, ils partagent le bilan des années Jospin, avec ses libéralisations et ses privatisations. En septembre 2009, elle défendait toujours l’ouverture du capital de France Télécom par Dominique Strauss-Kahn, quand d’autres reconnaissaient que c’était une erreur d’avoir mis ainsi le doigt dans l’engrenage de la privatisation. Aujourd’hui encore, Mme Aubry et M. Hollande comptent dans leurs équipes de campagne un nombre quasi égal de strauss-kahniens.

Difficile de les distinguer également sur les questions européennes, l’un et l’autre ayant approuvé le Traité constitutionnel et son clone de Lisbonne. François Hollande soutenait (et soutient encore) que le clivage droite-gauche s’efface devant les enjeux européens, Martine Aubry affirmait, sitôt élue à la tête du PS, que « l’Europe est pour la gauche un projet en soi, même si nous voulons qu’elle bouge et devienne une Europe politique, une Europe sociale » .

Cette gémellité politique n’empêche pas des nuances. D’ordre tactique d’abord : quand Martine Aubry, à la différence de son rival, se rend à la Fête de l’Huma, elle est convaincue que seule une campagne marquée à gauche fera la différence, notamment face à Marine Le Pen. C’est ainsi qu’elle annonce qu’elle refusera de recycler les hommes de Sarkozy, comme Jean-Pierre Jouyet, ancien secrétaire d’État du premier gouvernement Fillon, proche de François Hollande. Parce que, expliquent ses proches, « ne pas différencier la droite et la gauche, c’est faire le jeu du FN » .

De comportement aussi : François Hollande ignore superbement le Front de gauche, qu’il qualifie de « gauche boudeuse » . Martine Aubry feint d’accepter rencontres et débats, tout en privilégiant dans les faits Europe Écologie-Les Verts et en s’alliant au MoDem à Lille. De même répond-elle imparfaitement mais avec célérité aux questions posées par Attac aux candidats à la présidentielle. À la différence de son concurrent, qui n’accuse pas réception. De tempérament, enfin : son adversaire tergiverse sur la fin du cumul des mandats, le mariage homosexuel, Hadopi ? Elle affirme sa détermination à conduire pleinement ses réformes et vite, signe d’une volonté claire.

Une autre différence s’avère trompeuse. « À partir du moment où il y aura une femme présidente de la République , promet Martine Aubry depuis peu, aucun poste en France ne pourra être barré pour les femmes. » Mais, tout compte fait, on dénombre dans son équipe de campagne 22 femmes pour 64 hommes, contre 20 femmes et 57 hommes dans celle de François Hollande. Pas de quoi creuser l’écart.

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