Camille à cordes et à cris

La chanteuse poursuit ses explorations vocales, familières et singulières à la fois.

Ingrid Merckx  • 6 octobre 2011 abonné·es
Camille à cordes et à cris
© **Camille, Ilo Veyou** EMI, 17 octobre. En concert à Paris au Café de la danse du 12 au 18 décembre. Photo : AFP / Tanneau. Camille au festival des Vieilles Charrues, à Carhaix, en juillet 2008.

Sur cette chanson-là, elle ne chante pas. C’est un poème, un slam, un souffle, un soupir, une plainte ou une prière… « Aujourd’hui, c’est le plus beau jour, c’est la plus belle vie, c’est le plus grand amour sur la plus belle planète… »

Camille a écrit l’album Ilo Veyou enceinte, attendant un enfant dont la venue promettait « la plus belle chute sur la plus belle planète » . Mais quelle planète ! « Aujourd’hui c’est le plus beau cordon, le plus beau bisphénol, le plus beau plomb, placenta, béton, colostrum, ADN, uranium, OGM, homme… aime… femme, putain de dioxyde de carbone… » , susurre-t-elle, accouchant a capella d’une mixture de joie et d’anxiété, seule devant une fenêtre ou dans un jardin, entourée de quelques oiseaux.

Ilo Veyou est « un album d’amour » , annonce-t-elle sans surprise (I-love-You). Mais comme beaucoup d’albums finalement. D’où vient alors cette impression de liberté et d’absence de formatage chez cette artiste qui compose, écrit et interprète ses chansons ? Il y a eu le Sac des filles, premier album sous-estimé paru en 2002 et écrit alors qu’elle était encore étudiante à Science-Po. Puis le Fil, qui l’a rendue célèbre (2005) et s’appuyait sur un procédé technique créatif : une note tendue du début à la fin de l’album, un si en l’occurrence.

Et Music Hole, son troisième album studio (2008), qui a suivi son Live au Trianon (2006) et l’enregistrement de Ceremony of Carols de Benjamin Britten, assorti d’une création autour de prières du monde. Avec Ilo Veyou, Camille poursuit ses explorations vocales singulières, à l’écart non pas des bruits du monde, mais des autoroutes de la chanson.

Ilo Veyou ne tourne pourtant pas le dos aux traditions, et leur adresse même une série de clins d’œil. Au folk, entre autres – échos à Joan Baez ou, dans un autre genre, à PJ Harvey –, comme sur « Wet boy », morceau d’allure classique (accords de guitare + chant), mais où perce une nette originalité dans le phrasé.

En anglais, Camille se fait douce, voire enivrante, comme dans « She was », une chanson construite sur une suite d’arpèges. « Go » répète-elle sur le refrain, tel un mot-note qui démarre un accord que le violon vient compléter. En français, Camille dépote : ambiance cabaret dans « la France » , ou chant de combat façon Guerre des boutons dans « Allez, allez, allez » , où une armée d’enfants courageux ou rageux assènent « à chaque coup de rame » leur intention d’en découdre ou d’extirper une force salutaire des chocs alentour.  « Allez allez allons/à chaque coup de pioche/prends la force c’est fastoche/de ma chanson. »

Hormis quelques titres où Camille est rejointe par un chœur d’enfants, de femmes, ou un murmure masculin, Ilo Veyou est un album intime et intimiste. Camille voulait se mettre dans la peau des « femmes du Moyen Âge qui écrivaient des chansons en attendant, du haut de leur tour, leur mari parti en croisade ». D’où ce mélange d’espoir et de mélancolie qui naît du face-à-face avec soi dans une chambre qu’on imagine en pierre du fait des effets de résonance.

La chanteuse s’est principalement entourée d’instrument à cordes, pincées ou frottées : un quatuor, avec Martin Gamet à la contrebasse et Christelle Lassort à l’alto, et une guitare jouée par son compagnon, Clément Ducol, également au piano préparé. Sur une tonalité d’ensemble tirant vers une forme d’épure, en pizz ou à la touche, elle figure quelque princesse antique qui passe de la composition amoureuse (« le Berger ») à la vengeance ou à l’ironie vénéneuse (« le Banquet », « My Man Is Married But Not to Me »), du plaisir solitaire, hautain et presque perturbant de « Pleasure » à la ballade chaloupée de « l’Étourderie ». C’est sur ce morceau, peut-être, que se mesure le mieux son inventivité mélodique, son génie des agencements, et sa façon de mêler fausse et vraie simplicité (suffit d’essayer de le chanter, pas évident sauf le « padadam » final)…

L’enregistrement de cet album rend un effet de proximité troublant, comme si la chanteuse chuchotait dans le creux de l’oreille ses soupirs de peur, de plaisir, d’égaiement. Démultipliant sa voix, Camille se chante à elle-même des histoires qui l’inquiètent, la rassurent ou l’amusent : elle vire du fortissimo au pianissimo, multiplie onomatopées et bruits de langue comme dans « Bubbles Lady », chanson bulle aquatique où elle scate presque, ou s’évade en bouderie groovy (« Mars Is No Fun »). Aux instruments la rythmique, à elle le lyrisme dans une tour acoustique plus calfeutrée de bois que d’ivoire.

Musique
Temps de lecture : 4 minutes