Des maux et des remèdes

L’hôpital est accablé de problèmes qui fragilisent les conditions de travail
des praticiens et la qualité des soins. Mais des pistes de réflexion existent.

Ingrid Merckx  • 20 octobre 2011 abonné·es

Le récent rapport du ministère de la Santé sur l’exercice médical souligne les écarts entre les attentes des praticiens hospitaliers et leur satisfaction. Il dresse une liste de propositions pour améliorer les conditions de travail. Parallèlement, un Manifeste pour une santé égalitaire et solidaire (Odile Jacob), signé par 123 personnalités (voir Politis du 15 septembre), consacre plusieurs chapitres à la refondation de l’hôpital : financement, fonctionnement, etc.

Malaise psychique

17,4 % des médecins et des pharmaciens salariés français souhaitent abandonner la profession d’hospitaliers, selon l’enquête participative « Santé et satisfaction des médecins au travail » organisée en 2007. Plus de 20 % des praticiens se plaindraient d’un « épuisement physique et émotionnel » , et le nombre de suicides s’accroît chez les praticiens hospitaliers (PH) : l’AP-HP en déplorait une dizaine rien qu’entre 2008 et 2009. Le 8 avril 2010, le syndicat national PH anesthésistes-réanimateurs élargi (SNPHARE) a demandé la création d’une « cellule nationale de soutien aux soignants » . En juillet dernier, il rappelait que la souffrance au travail des PH était un « phénomène tabou » .

L’enquête sur l’exercice médical publiée par le ministère en juillet 2011 enfonce le clou : sur près de 2 000 PH interrogés, 72 % souffrent d’un « malaise psychique » , et près de la moitié sont insatisfaits de leurs missions et conditions d’exercice. Dans une enquête CFDT-Santé, sur 45 000 PH de 492 établissements publics, 92 % disent avoir un travail stressant, 83 % ne se sentent pas reconnus dans leur exercice, 67 % réclament une réorganisation. « Il faut aujourd’hui recombiner, recomposer  […] la nécessité d’un égal accès aux soins et l’obligation de maîtrise de la dépense publique, dans un système socialisé » , déclare en écho l’enquête du ministère. «  Socialisé  » veut-il ici dire solidaire ?

Réductions de postes

Pas de suppressions de postes dans les hôpitaux, avait promis le gouvernement. Et pourtant les changements de postes tardent à être remplacés et les départs à la retraite ne le sont pas. Résultat : l’hôpital perd chaque année près de 10 000 emplois. Il sous-traite (entretien, restauration) ou délocalise (l’hôpital Beaujon à Paris vient de déplacer son secrétariat au Maroc). Tous les postes sont désormais financés par la tarification à l’activité (T2A) et donc suspendus à la rentabilité de chaque acte médical. Pour faire face à la pénurie, notamment de spécialistes, sont engagés des « cliniciens hospitaliers »: nouveau statut très décrié car les recrues signent pour une durée de six ans maximum un contrat assis sur des objectifs quantitatifs qui peuvent générer un dépassement des obligations de service. Leur rémunération peut atteindre jusqu’à 12 000 euros mensuels, mais le contrat est susceptible de prendre fin du jour au lendemain.

L’autre solution consiste à faire venir des libéraux. Mais, pour être attractif, le salaire proposé doit se rapprocher de ce qui est gagné dans le privé. « Cela engendre des écarts de salaires avec les PH mais aussi des logiques de travail différentes » , déplore le président de la Commission médicale d’établissement d’un hôpital de province. Cela met aussi les hôpitaux en concurrence : pour débaucher le pédopsychiatre du coin, un hôpital doit afficher un tarif supérieur au voisin. « Et passer par une agence de recrutement privée qui se sucre au passage… »

Autre problème : les remplacements, imprévisibles à l’hôpital. « Ils sont assurés par des “mercenaires”. Avec la pénurie, leur proportion augmente considérablement. » Les ARS tentent d’établir une charte d’encadrement. « Le procédé est balbutiant… »

Honoraires

Certaines consultations peuvent atteindre 100 euros en secteur 2 à l’hôpital. Les dépassements d’honoraires sont d’autant plus pratiqués que l’hôpital a une réputation universitaire. Un PH peut assurer une partie de sa consultation en libéral si elle ne dépasse pas son activité publique en nombre de patients.

Les auteurs du Manifeste pour une santé égalitaire et solidaire proposent de s’appuyer sur trois principes : que les honoraires payés par les patients en secteur 2 soient versés directement à l’hôpital ; que les PH choisissent entre une activité publique exclusive, moyennant des primes, et une activité privée limitée à 20 % ; et que les activités annexes rémunérées (expertises, conseils pour l’industrie) soient encadrées par une convention avec l’hôpital.

Formation à la relation

Rares sont les universités qui proposent des cours sur la relation patient-soignant. Quelques heures d’éthique à Toulouse et à Marseille, un chapitre d’un cours et un module optionnel à la Pitié-Salpêtrière à Paris… «  C’est un enseignement qui s’est toujours fait “par les pairs” », explique un professeur de la Pitié. Mais ce qui s’apprenait au lit du malade se réduit : les étudiants font moins de stages, plus courts, et souvent la technique prend le pas sur la clinique… »

Infections nosocomiales

Selon deux enquêtes épidémiologiques nationales réalisées en 1996 et en 2001, les infections nosocomiales touchaient chaque année en France 7 % des patients hospitalisés. Soit près de 800 000 personnes. Un plan de lutte a été lancé en 2005. Elles sont désormais en nette diminution. Mais le problème nouveau, c’est l’apparition de nouvelles résistances aux antibiotiques.

Partenariats public-privé

Le gouvernement ne jure que par ça. « Pour maintenir le haut niveau de soins et d’activités médico-techniques […], on doit revisiter la dualité public/privé, s’ouvrir aux coopérations inter-établissements, aux filières et réseaux pluridisciplinaires, et à la télémédecine » , insiste l’enquête de juillet 2011 sur l’exercice médical. Sous-entendu : c’est la voie de l’avenir. « Sauf que les partenariats public/privé, c’est en général le non-rentable au public et le rentable (la chirurgie programmée) au privé » , précise André Grimaldi, professeur de diabétologie à la Pitié-Salpêtrière.
« On ne se penche jamais sur ce qu’un hôpital rapporte, s’étonne un médecin, en termes d’emplois hospitaliers et induits (industrie pharmaceutique, transports, alimentation, commerce), et en termes de service rendu : quelqu’un de soigné retourne travailler. »

Agences régionales de santé.

Mises en place par la loi HPST, les ARS ont un rôle d’organisation et de coordination. « Leur mission première, c’est de faire que les gens soient bien soignés, mais elles gèrent surtout les budgets qu’elles doivent répartir sur leur territoire, budgets eux-mêmes déjà très serrés » , peste un médecin. Certains directeurs d’ARS viennent du monde de l’entreprise. « Ils sont entourés de conseillers médicaux mais n’ont pas une culture de service public. Ils imposent aux hôpitaux des attitudes schizophrènes, car la bonne gestion peut entrer en contradiction avec l’éthique médicale. »

Restructurations

Elles ne se décident pas en concertation avec les professionnels et les établissements. Pour les signataires du Manifeste , elles devraient poursuivre les finalités suivantes : répartir les moyens des plateaux techniques lourds sur le territoire selon le principe du temps requis pour atteindre le centre concerné (six heures maximum pour un infarctus, trois heures maximum pour un accident vasculaire cérébral) ; maintenir une médecine hospitalière de proximité pour une prise en charge globale spécialisée de premier recours ; réorganiser nationalement les services d’urgences et de psychiatrie.

Absence de lits mère-enfant

En France, la mère d’un enfant atteint d’une pathologie nécessitant son hospitalisation ne peut espérer dormir à côté de lui, ou alors sur un lit de camp ou dans un fauteuil, et uniquement quelques jours. Sa présence est pourtant essentielle. Même les nouveaux hôpitaux n’intègrent pas de tels lits dans leurs plans de construction : à Robert-Debré, à Paris, on a été obligé de casser des murs neufs pour en insérer quelques-uns.

Crise démographique

La pénurie de médecins va s’aggraver dans les années 2020 avec les départs à la retraite. L’enquête sur l’exercice médical se veut rassurante, faisant état d’une croissance des effectifs des PH. Tout en admettant que «  cette croissance s’est développée sans véritable recherche d’adéquation qualitative et quantitative avec l’évolution des pratiques, des pathologies et des organisations ».

Soins ambulatoires

Cela évite des hospitalisations trop longues et renoue avec la médecine de ville. Mais peut aussi majorer les inégalités d’accès aux soins car tout le monde ne peut bénéficier de bonnes conditions de soins à un coût abordable hors les murs. En outre, quid des protocoles d’hygiène ? Pour les auteurs du Manifeste , il faut accompagner les soins en ambulatoire pour assurer qualité et continuité de la prise en charge.

Services sociaux

Les assistantes sociales dans les hôpitaux ne s’occupent que de placer les patients dans les institutions. Il y a un grand vide du côté du suivi social en milieu hospitalier et du travail en commun avec les soignants.

Tâches administratives

73 % des praticiens interrogés dans l’enquête sur l’exercice médical se plaignent du poids des tâches administratives.

Réseaux ville-hôpital

Ils existent depuis des années, la loi HPST en a fait un élément essentiel. Mais ils sont très variables d’un endroit à l’autre du territoire.

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Comment sauver l'hôpital ?
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