Enfants : stop au tri sélectif
Le ministère lance un nouveau protocole d’évaluation des élèves en fin de maternelle. Enseignants et éducateurs s’insurgent contre cette logique d’étiquetage, qui traduit un climat normatif inquiétant.
dans l’hebdo N° 1173 Acheter ce numéro
Un enfant de 5 ans classé « à risque » ou « à haut risque » ? Ce n’est pas de la science-fiction, mais l’étiquetage envisagé par un document du ministère, « Aide à l’évaluation des acquis en fin d’école maternelle », qui a filtré le 12 octobre, déclenchant les foudres de la communauté éducative.
La question de l’évaluation – en maternelle mais aussi en CM1 et CM2 – est, déjà, sujette à polémique, non pas tant d’ailleurs sur sa nécessité que sur ses modalités : que s’agit-il d’évaluer, comment, qui évalue, qui conserve les données ?
Mais, surtout, la méthode – les épreuves ont été réalisées par le laboratoire Cognito-Sciences de l’université de Grenoble – rappelle cruellement l’étude de l’Inserm proposant le dépistage précoce des troubles de conduite chez les enfants et adolescents (2005)…
Le ministère s’est empressé de tempérer : c’est un document de travail, évaluation ne signifie pas dépistage, celle-ci ne serait pas obligatoire, et les expressions « à risque » et « à haut risque » devraient même être retirées.
Il n’empêche. Les enseignants redoutent des amalgames entre d’éventuels troubles du comportement chez certains enfants et de simples différences de développement, et refusent cette logique de tri des élèves. L’appel « Pas de tri en maternelle », lancé le 13 octobre par le SE-Unsa, a déjà recueilli plus de 11 000 signatures depuis le 17 octobre.
Le protocole tient en trois phases : 1) repérage (comportement, langage, motricité et conscience phonologique) ; 2) entraînement progressif avec les enfants jugés « à risque » pendant la phase 1 ; 3) bilan via une série d’épreuves. Le protocole flirte avec une démarche médicale, proposant même d’articuler « le bilan de santé et l’évaluation des acquis » , et carrément managériale, en déclinant des « scores » par élève, par classe et par établissement.
Enfin, il intervient dans un contexte de tentation du fichage à l’école (données personnelles, comportement…) et de suppressions de postes. Son objectif affiché : lutter contre l’échec scolaire. « Pour aider réellement les enfants de maternelle, il vaut mieux cesser de fermer les écoles et d’en exclure les enfants de moins de 3 ans » , riposte la FCPE. L’évaluation viendrait-elle remplacer la pédagogie ?
« Un tel projet d’évaluation chez les enfants de grande section, s’il se mettait en place, ferait planer un climat de suspicion sur l’école maternelle » , s’insurge le collectif Pas de 0 de conduite. Quelles pressions induites sur les parents, qui voudront « préparer » les enfants aux tests ; sur les enseignants, « à la recherche d’un idéal d’élève, avec le sentiment d’être à terme eux-mêmes évalués de façon indirecte » ; et sur les établissements, qui verront croître la concurrence ? De quoi « parasiter la relation de l’enfant à l’école » .
Surtout, assène le collectif, « sélectionner des enfants “à risque” comportemental reprend le projet de dépistage précoce des enfants agités, avec une démarche de prédiction inhérente à cette notion de risque » . Pas de 0 de conduite multiplie les mises en garde depuis 2005 sur cette forte tendance prédictive, tout à fait caractéristique d’une société néolibérale.
Selon Michel Pazarelli, chercheur à l’université de Québec à Montréal, la prévention précoce positiviste serait « une forme d’auxiliaire politique au service d’une consolidation de cette vision entreprenariale du développement personnel et social, explique-t-il dans les Enfants au carré ? Une prévention qui ne tourne pas rond, ouvrage collectif publié par Pas de 0 de conduite. La prévention précoce de type prédictif travaillerait l’adaptation des individus aux contraintes normatives de l’économie concurrentielle. »
Le collectif insiste sur le fossé « entre prédiction et prévention » , et a publié un manifeste en faveur d’une « prévention prévenante » sous formes de fiches pratiques : « Non, à 3 ans, tout n’est pas joué, pas plus qu’à 7 ou 17 ans ; non, les enfants ne sont pas des organismes programmés ou programmables. »