Essonne : un hôpital sous les pires auspices
L’ambitieux projet de centre hospitalier Sud Francilien, qui fait l’objet d’un partenariat public-privé, tourne au fiasco économique et sanitaire.
dans l’hebdo N° 1173 Acheter ce numéro
Immense, ultramoderne et… désespérément vide. Tel est le centre hospitalier Sud Francilien (CHSF), le plus gros projet en France depuis dix ans. Et tout à la fois gouffre financier, bombe à retardement sanitaire et machine à précarité.
L’histoire remonte à plus de dix ans, avec la fusion administrative des hôpitaux d’Évry, de Corbeil et de Courcouronnes (Essonne). Mais le ministère veut aller plus loin dans la suppression des « doublons », notamment de personnels, et faire sortir de terre un établissement unique en lieu et place des trois hôpitaux de proximité. Après des mois de bras de fer, les deux caciques locaux, le maire PS d’Évry, Manuel Valls, et le maire UMP de Corbeil, Serge Dassault, trouvent un compromis sur l’emplacement du futur hôpital : une zone à cheval entre les deux villes – même si elle est en pente et qu’il en coûte de refaire la voirie.
Côté financement, Dassault et Douste-Blazy, ministre de la Santé de l’époque, dégainent la solution miracle : à l’instar des prisons ou des stades, un géant du BTP, en l’occurrence Eiffage – qui a construit le viaduc de Millau –, bâtira l’établissement et en assurera la maintenance. En échange, l’État lui versera un loyer annuel de 38 millions d’euros sur trente ans. Cela s’appelle un PPP (pour partenariat public-privé). Moins coûteux, et plus efficace qu’une traditionnelle passation de marché public, jure Xavier Bertrand, le successeur de Douste-Blazy, qui signe le bail en 2006.
Mais l’affaire tourne au vinaigre. Alors que l’hôpital est censé ouvrir en janvier 2011, on recense de graves malfaçons : service pédiatrique sans biberonnerie, eau non stérilisée, mobilier nid à microbes… En juillet dernier, la chaudière déclenche deux incendies. C’est « un bâtiment et non un établissement de santé » , résume Alain Verret, le directeur, qui finit par jeter l’éponge. Pour le remplacer, un « cost-killer » est promu directeur par intérim. C’est que, loin de faire profil bas sur les malfaçons, Eiffage réclame une « rallonge » de 185 millions d’euros du fait des adaptations à réaliser. Et ce, en sus du paiement du loyer d’un établissement qui n’a pas encore ouvert !
Pour absorber le surcoût, l’agence régionale de santé impose un tour de vis budgétaire. « On nous annonce 47 postes supprimés [sur 3 000, NDLR] d’ici à décembre, et ce n’est que le début, s’inquiète Catherine Fayet, syndicaliste à SUD Santé à l’hôpital d’Évry. On va rogner sur la qualité des soins pour contenter les actionnaires d’Eiffage ! » Pour Jérôme Guedj, président (PS) du conseil général de l’Essonne, « c’est le prix du cadeau que l’État a fait à Eiffage. Cette monstruosité financière pose de sérieux problèmes démocratiques » . Car si l’État sous-traite à Eiffage, Eiffage sous-traite à ses filiales, qui elles-mêmes sous-traitent pour effectuer la maintenance informatique, faire le ménage, assurer la sécurité…
« On sait que cette externalisation en chaîne détériore le service et crée des emplois précaires » , pointe Franck Banizette, à SUD Santé. « Ce PPP est un kidnapping de la maîtrise publique. C’est le contribuable qui paie à la fin » , soupire Bruno Piriou, élu de Corbeil.
Désormais, de Serge Dassault à Manuel Valls qui parle de « désastre », tout le monde veut sortir du PPP. « Mais qui va payer ? » , interroge Catherine Fayet. « Il faut d’urgence mener une négociation avec Eiffage, sachant que juridiquement on est coincés » , avertit Jérôme Guedj, qui estime que le problème ne pourra se régler qu’à l’Élysée. Ou comment l’hôpital Sud Francilien est devenu une affaire d’État.