« Les traders sont sûrs d’être les meilleurs »

L’anthropologue américaine Karen Ho dénonce l’esprit borné des travailleurs de la finance.

Alexis Buisson  • 27 octobre 2011 abonné·es

Anthropologue à l’université du Minnesota, Karen Ho a publié en 2009 Liquidated, une étude ethnographique surprenante sur les banquiers d’affaires et les traders de Wall Street. Elle explique les raisons culturelles qui rendent impossible un changement de l’intérieur des pratiques financières.

On a vu à New York et à Chicago des employés des institutions financières dire qu’ils étaient fiers d’appartenir au 1 % le plus riche de la population…

Karen Ho ≥ Dans les années 1990, au moment du boom de Wall Street, le seul endroit où il était possible de réaliser l’ascension sociale, à part l’école de droit ou l’école de médecine, était Wall Street. Aujourd’hui encore, beaucoup de traders et de banquiers d’affaires arrivent à Wall Street en provenance de grandes écoles américaines, Harvard et Princeton en particulier, avec le sentiment que leur intelligence a été consacrée. Ce sentiment leur est instillé à chaque étape de leur formation, au recrutement, lors des séances d’orientation et lors d’échanges informels. Cela se ressent dans leurs relations avec le monde de l’entreprise. Aux patrons, ils diront, par exemple : « Nous sommes mieux placés que vous pour vous dire avec qui vous allez fusionner, qui vous allez acheter. Vous devez nous faire confiance. Notre intelligence a été couronnée. »

Cette culture se consolide à travers le travail. Les banquiers d’affaires et les traders travaillent plus de cent heures par semaine. Cette culture du « travailler dur » forge en eux la conviction qu’ils sont les travailleurs les plus efficaces, les plus liquides, les plus flexibles, bref les meilleurs travailleurs possibles.

Comment cette mentalité influe-t-elle leur vision du monde extérieur ?
Ils pensent que tout le monde devrait travailler comme eux. Ils s’impatientent face aux inerties. Ils pensent que les autres travailleurs ne font que se plaindre. Ils voient Wall Street comme le moteur qui va rendre les États-Unis meilleurs. Par conséquent, ils se disent : « Je fais partie du pourcent le plus riche et j’en suis fier. Vous devez comprendre que vous avez besoin de nous pour vous aider. » Cette culture du « travailler dur », l’intelligence consacrée, la structure des bonus et les incitations de court terme sont tellement enracinées dans les esprits qu’elles rendent difficile la conduite de changement interne.

Un dialogue avec les manifestants est-il possible ?

La majorité des banquiers et des traders pensent sans doute que les manifestants mettent leur énergie au mauvais endroit. Ils ne se sentent pas responsables de la crise et mettent en cause ceux qui se sont acheté des maisons qu’ils ne pouvaient pas s’offrir. Au contraire, les banquiers adoptent un discours héroïque : « Nous avons fait des subprimes un marché. Nous avons été innovants, rapidement, et nous avons été récompensés financièrement. »

Par ailleurs, avant même leur recrutement à Wall Street, il y a une différence de classe sociale avec les 99 %. Le revenu moyen des familles des étudiants qui vont à Harvard ou à Princeton est un quart de million de dollars. Nous avons raté le moment de créer un dialogue. Il aurait fallu le faire en 2008, au début de la crise.

Monde
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