Lundi matin au zinc
dans l’hebdo N° 1172 Acheter ce numéro
Ce lundi matin, lendemain du premier tour de la primaire où doit se décider qui, de François Aullande ou de Martine Hobry, soumettra dans six mois, sans la moindre pitié, la possédance capitaliste (ris pas si bruyamment, s’il te plaît : ça dérange tout le monde), ce lundi matin, donc, à l’heure du petit blanc de la France qui se lève tôt, je descends m’accouder au zinc de chez René, au Va-et-Vient, près du métro [^2], où sont des philosophes. Et justement : Raymond est là, qui donne très fort son avis sur le scrutin d’hier – tu m’en remets un, René, puis je file.
C’qu’est sûr en tout cas, constate Raymond, c’est qu’leur primaire, là, c’t’une grande victoire pour la démocratie. Rien sera plus jamais pareil : ça m’étonn’rait pas qu’sous très peu tout l’monde fasse comme eux, tellement c’est démocratique – même l’UMP, tu verras c’que j’te dis, Lucien. Passque bon, faut r’connaître, c’est quand même vachement démocratique, tous ces gens qui sont allés voter démocratiquement.
Puis d’ajouter : bien sûr (bieeeeen sûr), personne peut savoir si tous ces gens qui sont allés voter vont aussi voter pour la présidentielle, et ça, faudra quand même vérifier, hein, passque bon, à la présidentielle, si personne vote pour la gauche, la gauche risque d’êt’battue par la droite, c’est
logique, c’que j’dis, Lucien, ou pas ? (C’est comme mon verre, gade : si personne me l’remplit, c’est évident qu’il va pas s’remplir tout seul, oui ou non ? Vazi, René, remplis-le moi.)
Puis bon, tendez : c’est bien beau, tout ça, mais dites ? Diiiiites ? Vous croyez qu’ils sont d’accord sur tout, Aubry et Hollande ? Ben non : ils sont pas d’accord sur tout. Résultat : ils risquent de pas être du même avis – j’dis la vérité, là, ou pas ? Puis bon, tendez : Montebourg, qui fait 17 %, c’est pas rien, hein, quand même ? C’est pas comme s’il avait fait 0,017 %, putain : là, les mecs sont quand même bien obligés de constater qu’il a fait 17 %, oui ou non ? Puis bon, tendez : au second tour de leur primaire, là, tu sais pour qui ils vont voter, les mecs du Front de gauche, toi, René ? Et les écologisses ? Tu le sais, pour qui ils vont voter, les écologisses ? Beeeeen non : tu l’sais pas. Personne le sait, putain, et du coup, je vois pas trop comment on pourrait savoir pour qui ils vont voter, les écologisses.
C’que j’dis, moi, c’est que rien n’est joué, a conclu Raymond. Et même, tu sais quoi, Lucien ? Tout est encore possible. Allez zou, j’file, sinon j’vais êt’en r’tard.
Raymond, je lui ai dit, à Raymond, comme il passait près de moi : c’est beau, ce que tu viens de dire. C’est même profond : on dirait un éditorial de Nicolas Demorand. Mais attends, il m’a répondu : c’est un éditorial de Nicolas Demorand. Et en partant, il m’a gentiment laissé le Libé de ce lundi matin.
[^2]: Comme dans une chanson des Bérus, quoi.
Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.