Pour sortir du béton
Près de Carcassonne, Batipole enseigne l’éco-construction avec matériaux locaux et techniques traditionnelles. Un succès.
dans l’hebdo N° 1174 Acheter ce numéro
Vincent attend, un peu nerveux, devant les portes du centre Batipole : il a quitté son emploi de plaquiste pour tenter d’intégrer la formation. « J’en ai marre de l’usine, dit-il. Je veux changer de vie, j’espère qu’il leur reste des places. » Le centre accueille entre 350 et 500 stagiaires par an et affiche le plus souvent complet.
Hervé, menuisier de métier, « ne veut plus faire du mauvais travail » , à une cadence infernale pour un salaire de misère. Lou, 21 ans et déjà stagiaire, a travaillé deux ans à l’usine en tant que tourneur-fraiseur avant d’intégrer la formation « éco-réhabilitation du bâti ancien » *. « Pendant mon BEP, on m’avait promis un bel avenir. Mais j’ai vu ma santé se détériorer, j’avais mal aux poumons à force de respirer des produits toxiques, et le bruit des machines me rendait à moitié sourd »* .
Les profils sont très variés, précisent les formateurs, et les ouvriers en reconversion, même s’ils ne sont pas majoritaires parmi les élèves, témoignent du malaise de la classe ouvrière. En intégrant Batipole, ils cherchent une alternative : apprendre à travailler différemment, découvrir une activité plus enrichissante, acquérir un savoir-faire qui rend autonome. Du gros œuvre au second œuvre en passant par la restauration du patrimoine, les formations sont rémunérées au niveau du RSA, grâce à un financement du conseil régional Languedoc-Roussillon. Seule condition d’accès : être inscrit à Pôle emploi.
Batipole dispense depuis 1989 des actions préparatoires à l’insertion (Api) et des programmes régionaux qualifiants (PRQ), fruits d’une volonté à la fois politique et industrielle visant à pallier le manque de main-d’œuvre dans la région.
Le centre se tourne résolument vers l’écologie (cf. encadré) en 2005. « C’est un des principaux secteurs d’activité qui recrutent en ce moment » , explique Marylin Silvestre, chargée de communication de la Région. Le centre peut se targuer d’un taux de retour à l’emploi d’au moins 60 %. Christian Megret, coordinateur et formateur, nuance toutefois ce résultat : « Tous ne seront pas employés dans l’écoconstruction, mais cet apprentissage change leur dynamique de travail. » Ainsi Lou, spécialisé dans la taille de la pierre : « Depuis 2005, c’est l’hécatombe dans le métier, mais les techniques abordées à Batipole m’aideront dans mon chemin personnel. » Il est convaincu « qu’on pourrait trouver des solutions simples pour soulager la vie pénible des ouvriers » .
Le tournant écologique du centre Batipole est né de la rencontre entre Anne Lavoyer, ingénieur agronome, et Dirk Eberhard, formateur et gérant de la Scop Bois terre paille (BTP). Elle est spécialisée dans l’agriculture biologique, il remet au goût du jour les techniques de construction traditionnelles. « L’idée d’un centre de formation en écoconstruction a émergé grâce à mon envie d’appliquer l’écologie au bâtiment et à l’expérience de Dirk, déjà formé dans le domaine , se souvient la directrice du centre. Nous avons eu beaucoup de chance parce qu’en 2005 la nouvelle vice-présidente de la Région en charge des formations était chez les Verts. »
Cette année-là, le Languedoc-Roussillon finance une formation à l’écoconstruction pour les demandeurs d’emploi. Pari réussi. L’idée, expérimentale à l’époque, s’est aujourd’hui exportée dans tous les départements de la Région et au-delà. Lieux d’apprentissage, ces centres se sont aussi révélés des pôles d’innovation et d’échange de savoir-faire.
Aujourd’hui, le groupe « second œuvre » est chargé de rafraîchir les murs d’un institut médico-éducatif (IME) et de rénover le bureau de la directrice. Ambiance concentrée. Les mains rougies par la terre du Languedoc, les stagiaires viennent de recouvrir les façades d’un enduit écologique. La recette est simple : de la terre recueillie dans la montagne, du sable et de l’eau ; le mélange est malaxé, puis soigneusement étalé. La peinture défraîchie des murs disparaît, pour laisser place à des tableaux aux couleurs naturelles de rouille et d’ocre.
Conseillés par Julia, une des formatrices du centre, ils discutent des motifs à apposer pour décorer les murs. On s’écoute patiemmentpuis l’on débat. « Ils apprennent à composer avec les idées des autres. Et même si l’effort est collectif, la personnalité de chacun peut s’exprimer » , estime Julia. Ancienne éducatrice spécialisée, elle est elle-même passée par Batipole. Sa philosophie d’enseignement demeure très basique : « On pourrait la résumer ainsi : mettons les mains dedans, construisons et transmettons ce savoir. »
Parfois, le dimanche, elle installe un stand sur un marché du coin et explique aux badauds les bases de l’écoconstruction. Non, ça n’est pas réservé aux « bobos ». Oui, le prix reste abordable. Il faut seulement du temps et de la patience. « Le but est de montrer aux gens qu’ils ont le choix, que l’alternative existe » , insiste-t-elle.
Les quatre mois de formation au centre Batipole visent à apporter les outils techniques et intellectuels qui sont nécessaires aux stagiaires pour qu’ils puissent ensuite continuer seuls : « Les “auto-constructeurs” s’autorisent beaucoup d’expériences, l’innovation a une place prépondérante. Les élèves doivent donc se sentir soutenus dans le processus d’apprentissage. » Avec l’écoconstruction, « il s’agit aussi de remettre la personne au centre de son lieu de vie ».
En comprenant comment se construit une maison, « on redonne de la valeur au simple fait d’habiter » , argumente Julia. C’est également une nouvelle façon de découvrir la nature. Tous les matériaux sont directement prélevés dans l’environnement proche. Le coût écologique demeure minime. « Tout ou presque est récupéré. »
Lors du débriefing de fin de journée, Makeda, l’une des apprenties, râle un peu : elle a dû décorer seule un pan de mur entier. et doute de la qualité de son travail. La formatrice la rassure. « Cette formation me donne confiance en moi » , reconnaît la jeune femme.
Ce qui lui plaît dans l’écoconstruction ? Elle hésite. « C’est difficile à décrire ; je veux travailler pour m’épanouir, l’argent est secondaire. Les petits boulots alimentaires ne m’offrent aucune possibilité d’être en harmonie avec ce que je suis. »
Lou appuie : « Nous acceptons tous, plus ou moins, de devoir nous satisfaire de revenus moins élevés, mais c’est, en contrepartie, pour jouir d’une meilleure qualité de vie. »