Quand l’Amérique était écolo…

Dans cet extrait d’American Écolo, Hélène Crié-Wiesner montre comment les États-Unis se sont détournés des luttes environnementales.

Hélène Crié-Wiesner  • 20 octobre 2011 abonné·es
Quand l’Amérique était écolo…
©Delachaux & Niestlé, 2011 Photo : AFP / Loeb

Sans toujours connaître les détails de leur histoire, les Américains savent qu’ils ont été les précurseurs de la protection moderne de l’environnement. En fait, ils se voient volontiers comme le seul peuple capable de bien gérer les ressources de la planète. La plupart du temps, cette certitude est énoncée au nom d’intangibles valeurs nationales : Dieu – Il a mis toutes ces ressources à la disposition des hommes pour quelle raison, sinon pour les utiliser ? –, le droit sacré de propriété et la liberté d’entreprendre.

Quant à leur légitimité historique, elle est incontestable : les Américains ont, les premiers, créé des réserves naturelles et des parcs naturels nationaux pour protéger des morceaux de nature contre l’avancée destructrice des hommes : Hot Springs et Arkansas, en 1832, puis Yellowstone et Yosemite Park, tout ça au XIXe siècle. Sans compter les premiers « intellectuels », tel John Muir, fondateur du Sierra Club en 1892. Une bonne longueur d’avance, n’est-ce pas ?

Plus précis, le cri d’alarme poussé en 1962 par la biologiste américaine Rachel Carson avec son livre Silent Spring ( le Printemps silencieux ), qui alertait sur les dangers des pesticides pour l’environnement, dénonçait les manipulations de l’industrie chimique et la complicité des gouvernements. L’importance de ce livre dans la naissance d’un mouvement écologique, américain d’abord, puis européen à partir des années 1970, a été immense. Enfin, il y a eu en 1972 The Limits of Growth (traduit en français par Halte à la croissance  ?), ce fameux rapport du Club de Rome où les chercheurs de l’université américaine Massachusetts Institute of Technology (MIT) prévoyaient une pénurie des ressources naturelles et annonçaient l’impact dévastateur de l’industrie sur l’environnement.

Hélène Crié-Wiesner est chroniqueuse dans nos pages depuis huit ans. Un jour, un (seul) lecteur s’énerve : « Qu’avons-nous à faire de ces commentaires sur l’opinion états-unienne ? » Beaucoup ! Les États-Unis sont décisifs dans les matières écologiques, surtout depuis que celles-ci débordent à l’échelle planétaire et exigent des accords internationaux. Le climat, par exemple : en 2001, Bush décide que son pays jouera cavalier seul, en boycottant le protocole de Kyoto.

Obama ? Le Congrès républicain, soutenu par l’industrie des fossiles, lui bloque toute initiative. Restent les mouvements citoyens et les lobbies associatifs.

C’est ce baromètre de la politique états-unienne que dévoile l’auteur dans American Écolo, à travers mille histoires croquignolettes et lestées de sens : le peuple américain, attaché à la liberté individuelle et à l’entreprise pourvoyeuse de richesses, rechigne à convenir que tout cela va rarement dans le sens de la défense des grands équilibres écologiques. Patrick Piro

Pour reprendre les mots de l’ancien ministre français de l’Environnement Brice Lalonde, qui fut ambassadeur de France chargé des négociations internationales sur le changement climatique, qui connaît bien les États-Unis pour des raisons familiales et professionnelles, « la protection de l’environnement est née au XIXe siècle à l’ouest des Rocheuses en même temps que les habitants puritains de l’est du pays entendaient préserver l’œuvre de Dieu. Les lois naturalistes, les rapports d’impact, et même les sciences modernes de l’environnement, tout ça, c’est né aux États-Unis. Ce n’est pas rien, tout de même ! »

Que s’est-il donc passé depuis ? […] [La réponse réside notamment], à mon sens, [dans] l’histoire politique du monde et la manière dont a été vécue la Deuxième Guerre mondiale de part et d’autre de l’Atlantique. L’Europe est alors privée de tout. À partir de 1940-1941, les restrictions et la faim y deviennent le quotidien de tous. Les gens survivent grâce au marché noir ou parce qu’ils habitent à la campagne et peuvent faire pousser des légumes. L’essence, l’électricité, les matières premières sont rationnées. Sauf en Allemagne au début de la guerre, le développement économique est évidemment stoppé net, et on ne parle plus de progrès, juste de survie. Des villes entières sont rasées par les bombardements, l’outil industriel et les infrastructures de transport sont détruits.

La résurrection de l’Europe prendra du temps. Elle se fera grâce à l’aide immense du plan Marshall américain qui, pendant cinq ans, déversera outils et dollars sur les terres européennes dévastées. Mais il ne faut pas oublier que, jusqu’au début des années 1950, les habitants de l’Europe de l’Ouest sont restés majoritairement pauvres. Tout valait cher, tout devait être économisé, compté, chichement utilisé. Pour la plupart des jeunes Français – et sans doute des Européens – de ma génération, nés dans les années 1950 ou au début des années 1960, éteindre la lumière en sortant d’une pièce était une obligation absolue. Économiser l’eau aussi, parce que l’eau coûtait cher. Simplement, notre génération de l’après-guerre avait grandi dans le culte de l’épargne et de la parcimonie. Évidemment, on ne tirait aucune gloire de notre attitude écologique. Personne ne pensait dans ces termes. On aurait tous adoré posséder, dépenser et gaspiller, comme les Américains que nous voyions au cinéma.

En Amérique, après la Grande Dépression des années 1930, l’économie était encore fragile et les comportements des petites gens étaient analogues à ceux décrits plus haut. Mais ça n’a pas duré longtemps : quand les États-Unis sont entrés en guerre en 1941, l’économie s’est envolée. Les jeunes hommes ont commencé à partir au front, des centaines de milliers ont été tués au cours des quatre années suivantes, mais les Américains ont continué à manger. […] La vie était angoissante, les familles étaient souvent brisées par la mort de leurs hommes sur les fronts européen et asiatique, mais […] l’eau coulait dans les robinets, et l’électricité n’était pas coupée par des bombardements.

Après la guerre, quand les hommes survivants sont revenus, ils se sont remis au travail dans leurs usines toujours debout. Le charbon était abondant, le pétrole coulait à flots, les usines Ford et General Motors produisaient des voitures qui engloutissaient l’essence, les trains roulaient, et on construisait des aéroports un peu partout.

Cette fracture comportementale due à la guerre n’est toujours pas comblée. Elle le sera d’autant moins rapidement que la population européenne est de plus en plus à l’étroit dans ses frontières physiques. Les territoires libres et les espaces naturels sont rares et chers, l’expansion urbaine et industrielle est difficile, la vie économique et sociale est corsetée par des lois et des règlements stricts, indispensables dans ce contexte de limitation spatiale. Sans oublier que, depuis la cessation d’activité de la plupart des mines de charbon, l’Europe de l’Ouest dépend presque entièrement de l’étranger pour ses sources d’énergie.

Les États-Unis vivent une situation diamétralement différente. Les espaces libres, urbanisables, bétonnables, sont encore légion. Plusieurs exemples seront donnés plus loin de ce sentiment infini de vastitude, ancré dans la psyché américaine. Les États-Unis ont la chance de receler sur leur territoire deux pour cent des réserves mondiales de pétrole (tout en en consommant aujourd’hui vingt pour cent), ce qui est considérable, et sont en train de découvrir l’ampleur de leurs colossales réserves de gaz de schiste, ce qui leur donne une sacrée marge de manœuvre pour l’avenir. Pourquoi les Américains se feraient-ils autant de souci pour leur avenir que les Européens ?

Idées
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