Quand les rockeurs brûlent les planches
Une pièce débridée de Pierre Rigal sur le rock en particulier et la créativité en général.
dans l’hebdo N° 1172 Acheter ce numéro
Un guitariste électrique, un batteur, un bassiste et un chanteur : depuis la naissance du rock, à la fin des années 1950, ces composantes sont toujours agencées de manière similaire dans les concerts. À chacun son instrument, sa place et son remuement de tête distinctif.
Le chorégraphe et danseur Pierre Rigal trouve tout cela bien conventionnel : pourquoi ne pas insuffler un peu de renouveau, de fantaisie, dans ce genre musical ?
C’est la question qu’il pose avec subtilité dans sa dernière création, Micro . Après tout, le rock marque à l’origine une rupture d’avec la génération précédente, il exalte les plaisirs faciles et la joie de vivre. L’artiste imagine donc un rock original, qui va jusqu’au bout de sa démarche initiale.
Pierre Rigal ne s’arrête pas là. De façon décalée, tout en danse, avec un humour voisin de l’absurde, il retrace l’histoire du rock et, à travers elle, explore le processus de fabrication de toute culture. Sans jamais prononcer un mot, par la grâce du détournement d’objets. Dès l’ouverture, l’air déterminé et habillé d’une veste à paillettes, il brandit un micro qui trônait au milieu de la scène pour amorcer une chorégraphie singulière. Une sorte de mime chaloupé, pendant lequel le matériel sonore devient tour à tour épée, javelot, barre de strip-tease… jusqu’à acquérir l’emploi qu’on lui connaît. Comme s’il n’avait pas été inventé par l’homme. Mieux, à travers les diverses expériences menées avec le micro, on peut dire que c’est l’objet qui modèle l’homme plus que l’inverse.
Créatures à tête de tambour, de guitare et de cymbale ou encore batterie maniée comme un jeu pour enfants : les apparitions incongrues se multiplient. Pour cela, Pierre Rigal est rejoint par les quatre membres du groupe de rock Moon Palace, à qui il a demandé d’imaginer d’autres manières de jouer. Peu à peu, tous les ingrédients d’un concert se réunissent. Lasers, distorsion et jeux de lumière viennent conclure l’histoire du rock’n’roll retracée dans le spectacle par les gestes des musiciens et la scénographie mouvante.
Car, d’un morceau à l’autre, les instruments sont déplacés, réorganisés selon la volonté du chorégraphe. L’écoulement du temps est ainsi sensible, de même que la nécessité, pour une culture, de chercher sans cesse des formes inédites.
Le rock aurait pu se déployer autrement, semble vouloir dire Pierre Rigal. D’autant plus qu’il se met lui-même en scène dans son rôle de concepteur du spectacle. Tel un chercheur dans son laboratoire, il modèle le décor puis observe la réaction de ses cobayes musiciens. Il abandonne alors son agitation frénétique, et accompagne l’activité peu ou prou musicale de ses quatre sujets. En soutenant le corps de l’un, en encourageant l’autre par sa danse exaltée. En somme, le travail préliminaire effectué avec les membres de Moon Palace fait aussi l’objet de la pièce. C’est que le créateur peut être fier du résultat : au départ simples musiciens, les rockeurs ont développé un jeu théâtral bien rôdé.
Après des chansons romantiques, folkloriques, et des lectures chantées de notices d’utilisation, on croit parvenir enfin à une forme achevée mais conventionnelle. Où a disparu la créativité à l’œuvre dans le reste de la pièce performance ? La question contient la réponse : quand elle devient système, la culture n’a plus qu’à disparaître. En cela, le rock n’est pour Pierre Rigal que le point de départ d’une réflexion plus large. Que faire pour qu’une culture, voire une civilisation, ne périsse pas de répétition et d’ennui ?
Anaïs Heluin