Une candidate trop consensuelle
A force de vouloir fédérer toutes les tendances du PS, Martine Aubry semble manquer d’espace pour imposer une voix plus personnelle et singulière. Au risque de ne pas se démarquer assez de son rival.
dans l’hebdo N° 1171 Acheter ce numéro
Faire mentir les sondages. Martine Aubry en rêve. La maire de Lille a beau répéter qu’ils n’ont « aucun sens » et « aucune valeur » , les enquêtes d’opinion qui la placent loin derrière François Hollande mobilisent son camp. Lequel s’inquiète aussi de la montée d’Arnaud Montebourg, qui risque de la priver des voix nécessaires pour figurer au second tour de la primaire du PS. Ces derniers jours de campagne ont donc été mis à profit pour lancer des offensives tous azimuts. Un dernier coup de collier, et non un baroud d’honneur, assurent ses partisans, qui la croient encore capable de rattraper son retard.
Partie tard en campagne, la maire de Lille a dû quitter la tête du PS pour briguer l’investiture présidentielle ; l’abandon de cette charge devait lui permettre de parler « en [son] nom propre » , de faire de la politique « comme [elle] aime » avec des gens « qui se battent pour la même chose ». Trois mois plus tard, la « libération » annoncée n’est pas éclatante. La faute aux circonstances qui l’ont contrainte à jouer en défense, ont longtemps plaidé ses proches : le 28 juin, jour où elle officialise sa candidature, Martine Aubry est concurrencée médiatiquement par la nomination de Christine Lagarde au FMI ; elle est ensuite confrontée à la libération sur parole de DSK à New York, l’annonce de son retour à l’ouverture de l’université de La Rochelle, aux déclarations enfin de ce dernier sur TF 1 laissant entendre qu’elle ne serait qu’une candidate par défaut.
La faute aussi à l’étendue de ses soutiens. Candidate « de rassemblement », Martine Aubry marie l’eau et le feu. Derrière elle, on trouve aussi bien le courant de Benoît Hamon qu’une part importante de la strauss-kahnie – Jean-Christophe Cambadélis, qui avait en charge l’organisation militante, Michel Destot, qui était à la tête du réseau d’élus –, les fabiusiens mais aussi les amis de Bertrand Delanoë. D’où une équipe de campagne étoffée comme pour une finale, quand les candidats en sont encore à disputer les matches de qualification.
À la tête de cette armée mexicaine, Martine Aubry s’est efforcée jusqu’ici d’en préserver les équilibres politiques. Au risque de ne rien proposer de saillant, ni de nouveau. Se présentant, plus que les autres candidats, en garante du projet du PS – « un beau projet » –, dont elle martèle avec régularité qu’il a été adopté à l’unanimité, la maire de Lille rappelle aussi à l’occasion qu’elle l’a rendu possible alors que le PS était profondément divisé à son arrivée aux manettes en 2008.
Chef du parti, donc légitime à le représenter, Martine Aubry a usé de toutes les ficelles de la rhétorique pour asseoir ainsi sa candidature : « Notre projet », « Nous pensons », « À mon initiative, le PS a proposé », « Nous prenons l’engagement » … Un parti pris délibérément collectif, selon ses partisans. Mais qui a l’inconvénient de ne pas exposer clairement ses priorités à elle, le projet du PS n’étant qu’une boîte à outils.
Candidate par devoir, prisonnière de ses alliances… Ce personnage, construit par les « hollandais » pour décrédibiliser leur principale rivale, colle encore à Martine Aubry. Les médias la trouvent austère, sévère, et d’un abord difficile en comparaison du député de Corrèze.
Peu portée à courtiser les éditorialistes en vue, Martine Aubry a opté dès le départ pour une méthodique mobilisation sectorielle. Ses déplacements sur les « vrais problèmes des Français » l’on conduite à s’exprimer sur la sécurité à Marseille, où elle a défié Claude Guéant, l’emploi à Montceau-les-Mines, l’éducation à Amiens, la santé à Grenoble. Récemment, elle était à Nantes pour parler de justice avec les syndicats de juges et de surveillants de prison, elle s’est rendue à Bordeaux au congrès des HLM pour parler logement, elle a rencontré des agriculteurs à Périgueux, elle s’est adressée aux femmes à Paris.
Cette sectorisation n’est pas le meilleur moyen d’afficher un projet d’ensemble. Elle lui permet en revanche de travailler ses cibles dans cette primaire : les syndicalistes, les associatifs, les réseaux militants, plus faciles à motiver le jour du vote.
Un public trop peu nombreux toutefois pour s’assurer un bon score en cas de forte mobilisation électorale le 9 octobre. Une hypothèse de plus en plus envisagée rue de Solferino. Aussi, ces derniers jours, après les distributions de tracts sur les marchés par les « volontaires » – nom donné aux militants pro-Aubry –, la maire de Lille mobilise son réseau d’élus pour qu’il fasse connaître leur vote auprès de leurs électeurs.
Dimanche, ses supporters ont été invités à faire du phoning autour d’eux et à contacter 100 000 personnes. De leur côté, Benoît Hamon et ses amis ont lancé « un appel » aux « électeurs de gauche qui ne votent habituellement pas socialiste au premier tour des élections » pour les convaincre de soutenir leur championne et… de ne pas égarer leur vote sur Arnaud Montebourg. « Les 9 et 16 octobre prochains se jouent non seulement le choix d’une personnalité, mais aussi et surtout une stratégie et un projet politiques, dramatisent-ils. La future majorité présidentielle n’aura ni le même périmètre ni le même contenu selon que telle ou tel sera élu(e). » En clair, s’il est désigné, François Hollande conduira une politique d’accompagnement du système et non une politique de changement, comme défend Martine Aubry.
Une différenciation que la candidate dessine par petites touches. Ainsi, lors du second débat, quand elle lance à François Hollande : « Tout ne s’achète pas par l’argent. » « Dans une société qui est mue par l’argent, oui », réplique le député de Corrèze, qui se voit rétorquer : « Eh bien, justement, c’est ce qu’il faut changer profondément. » Un thème qu’elle ne manquera pas de développer dans l’entre-deux tours. Si le duel annoncé est bien celui-là.