Démographie : « Investir massivement dans l’éducation des jeunes filles »

Sept milliards de bouches à nourrir
et une crise écologique gravissime. Lester Brown trouve des raisons d’espérer.

Patrick Piro  • 10 novembre 2011 abonné·es

Convaincu que la planète risque de basculer dans la « crise absolue », Lester Brown appelle à user de grands leviers comme la fiscalité ou la natalité. Sans remettre en cause le système libéral, cependant.

Votre stratégie pour éviter « l’irréparable » n’interpelle pas outre mesure le mode de vie occidental, surconsommateur. Sujet toujours tabou dans la société états-unienne ?

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Lester Brown :** Les discours ne sont pas très utiles car les habitudes sont en train de changer ; on constate que les gens commencent à faire le lien entre leur propre situation et les menaces qui pèsent sur la planète. On le voit avec l’alimentation des jeunes : les menus évoluent, la consommation de viande est en recul. Les ventes d’essence ­également, et ce mouvement s’accélère. L’un des changements culturels les plus marquants du moment, chez les adolescents, est la dissolution des rites de passage liés à la voiture. Elle n’est plus le principal vecteur de socialisation, remplacée par Internet ou le mobile, dont l’impact sur le climat est bien moindre.

L’engouement pour le vélo est spectaculaire. Les services du style Vélib’, inspirés par celui de Paris, deviennent très populaires, les médias en parlent. Washington possède le sien, New York s’y prépare. Cependant, ces évolutions restent encore trop lentes.

Les pouvoirs publics sont presque absents de votre discours. Quel rôle leur attribuez-vous ?

Les évolutions positives que nous constatons sont en grande partie à mettre au crédit de ­comportements individuels ou collectifs privés – mouvements, associations locales, groupes communautaires, etc. La campagne d’interpellation du Sierra Club, principale association environnementaliste du pays, a conduit à un quasi-moratoire sur la construction de nouvelles centrales à charbon, le secteur d’activité le plus émetteur de CO2 au monde, et dont le mercure contenu dans les fumées est responsable de l’impossibilité de consommer les poissons de nombreux lacs et rivières. Ces centrales sont aujourd’hui entachées d’une très mauvaise image dans l’opinion publique.

L’ampleur de cette réussite est aussi à mettre au crédit d’une politique publique résolue, avec des objectifs forts de réduction de la pollution atmosphérique. Ce modèle de la « prise en ­sandwich » ­– ­pression venue du bas et d’en haut – est l’un des plus efficaces leviers de changement.

Ne faut-il pas remettre en cause l’économie libérale et mondialisée pour limiter les désordres climatiques ?

Les États font-ils mieux que le marché ? Par leurs subsides, ils soutiennent encore les vieilles énergies partout dans le monde. L’enjeu le plus important est d’imposer aux entreprises de dire la vérité sur leurs prix, qui n’incluent pas l’impact écologique des biens et services mis sur le marché. Si nous parvenons à restructurer le système des taxes dans ce sens, la transition énergétique vers une économie sans carbone sera très rapide. À long terme, il est plus sûr d’investir dans un parc éolien que dans une centrale à charbon. Ce genre de message doit devenir une évidence.

Votre scénario implique de ne pas dépasser 8 milliards d’habitants. Cela suppose des mesures très fortes…

Il ne s’agit pas de coercition. Des études indiquent que 215 millions de femmes dans le Sud aimeraient pouvoir accéder au contrôle de leurs grossesses. Il suffirait pour cela d’un budget de 20 milliards de dollars par an, pour un impact démographique très important, déterminant pour la crise planétaire. Il faudra aussi conjointement investir massivement dans l’éducation des jeunes filles, dont on sait qu’elle joue un rôle majeur dans la régulation des naissances.

Écologie
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