Démonstration en huit mesures
Expulsion des délinquants étrangers, peines plancher, majorité pénale à 16 ans, nouvelles places de prison…
Le gouvernement actuel a tout simplement réalisé des propositions du FN. Par Évelyne Sire-Marin.
dans l’hebdo N° 1177 Acheter ce numéro
La justice pénale est un formidable observatoire des dysfonctionnements de notre société, de la relégation des plus démunis, de la puissance des plus favorisés. C’est une immense loupe posée sur les inégalités sociales et sur la société de la peur et du mépris.
La justice est l’un de ces contre-pouvoirs si malmenés depuis l’arrivée aux « affaires » – et cette expression n’est pas usurpée – de Nicolas Sarkozy. C’est un massacre à la tronçonneuse : projet de suppression du juge d’instruction, suppression de trois cents tribunaux, suppression de la fonction même de juger des magistrats, avec l’obligation de prononcer des peines automatiques dites « peines plancher », suppression annoncée de la justice des mineurs de 16 à 18 ans…
L’affaire Woerth/Bettencourt est une parfaite illustration de la toute-puissance du procureur, c’est-à-dire d’un homme nommé par l’exécutif, qui décide de tout et peut être à l’origine d’un « classement sans suite », sans même qu’un juge indépendant soit saisi. Mais d’où vient cette frénésie sécuritaire, et ce mépris pour la justice et ses institutions ?
Les dernières déclarations du ministre de l’Intérieur et d’autres membres de la Droite populaire (qui compte 42 députés) répondent à cette question. Elles attestent de la diffusion des idées du Front national auprès d’une partie de la droite française. Ce que le FN a proposé, Nicolas Sarkozy l’a fait. Le gouvernement termine actuellement la réalisation partielle du programme du Front national de 2003 et de 2007. Nous pourrions même étendre cette démonstration bien au-delà du domaine judiciaire. Certaines mesures économiques prônées par le FN, comme la retraite à 65 ans, la suppression de l’AME (l’aide médicale gratuite aux étrangers) et du RMI, sont soit entrées en vigueur soit amorcées. Mais, en matière de justice et de police, c’est pire.
Voici quelques propositions du programme du Front national qui ont déjà été mises en place par les gouvernements de Nicolas Sarkozy.
- «Expulser les délinquants étrangers. »
La loi immigration du 26 novembre 2003 a fait passer de 12 à 32 jours le délai de rétention des sans-papiers, puis la loi Besson de 2010 l’a allongée de 32 à 45 jours ! Brice Hortefeux a décidé de comparer l’ADN des familles demandant le rapprochement familial dans une loi du 20 novembre 2007, et l’objectif de 28 000 expulsions d’étrangers par an est pulvérisé chaque année.
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«Organiser une coopération étroite entre police et justice. »
C’est l’idée de « chaîne pénale », qui supprime la séparation des pouvoirs entre l’exécutif et le judiciaire ; une circulaire du 4 février 2004 enjoignait même aux policiers de faire des remontrances aux procureurs si leurs décisions ne leur convenaient pas. Le parquet est désormais le maître tout-puissant de la justice. 30 % des procédures pénales ne passent plus devant un tribunal [^2], c’est le procureur qui décide de tout.
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«Réhabiliter les peines promptes, certaines et incompressibles » et « réduire l’écart entre le maximum et le minimum de la peine. »
La loi du 10 août 2007 sur les peines plancher prévoit que l’emprisonnement ferme sera automatique à la première récidive ; par exemple, un an de prison au deuxième vol de couches-culottes par une mère de famille au RSA. Par ailleurs, la loi Perben du 9 septembre 2002 permet de prononcer jusqu’à vingt ans de prison en comparution immédiate.
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« Sanctionner les manifestations publiques de la débauche. »
La Loi sécurité intérieure du 18 mars 2003 crée le délit de racolage passif, très utilisé pour interpeller et expulser les prostituées étrangères.
- «Créer 13 000 nouvelles places de prison. »
Ce programme est réalisé depuis la loi Lopsi 1 du 3 août 2002 [^3]. Une dizaine de nouvelles prisons ont été ouvertes. Du coup, le FN propose dans son programme 2011 de créer 75 000 nouvelles places. C’est-à-dire de doubler la population carcérale. Qui dit mieux ? Nous avançons vers une industrie de la punition, comme aux États-Unis, où les prisons privées sont un des seuls secteurs de création d’emplois. Où l’on voit que, comme le FN, l’UMP mélange business et répression.
– « Instaurer la majorité pénale à 16 ans. »
Le projet de loi sur les jurés assesseurs prévoit en effet la suppression des tribunaux pour enfants entre 16 et 18 ans. Ce sera l’aboutissement d’une constante et obstinée remise en cause de la justice des mineurs depuis la loi Perben 1 du 9 septembre 2002, qui instaurait une quasi-comparution immédiate pour les enfants à partir de 13 ans.
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« Resocialiser les mineurs délinquants en centres fermés et responsabiliser les parents. »
La loi du 2 août 2002 crée 600 places en centres éducatifs fermés, et la loi prévention de la délinquance du 5 mars 2007 impose des stages payants aux parents « irresponsables », qui sont la plupart du temps des mères en situation de travail précaire élevant seules plusieurs enfants. Depuis une loi du 14 septembre 2010, les allocations familiales peuvent être supprimées en cas d’absentéisme scolaire de quatre demi-journées.
- «Permettre la déchéance de nationalité en cas de crime ou délit grave. »
Une circulaire discriminatoire Hortefeux-Besson du 4 août 2010 prévoyait l’expulsion de Roms, désignés en tant que tels, tandis que la loi Besson, en cours de vote au Parlement, envisageait exactement ce que préconise le FN : la déchéance de nationalité des personnes naturalisées françaises depuis moins de dix ans condamnées pour certains crimes.
Devant le risque de censure du Conseil constitutionnel et de la CEDH [^4] sur ces dispositions créant deux catégories de Français, les naturalisés et les Français de naissance, le gouvernement a supprimé cette disposition de son projet. Mais la volonté de l’UMP de surpasser le FN sur les questions de l’immigration est plus forte que tout : un prérapport de l’UMP Claude Goasguen, en juin 2011, propose d’empêcher les étrangers de garder leur nationalité lorsqu’ils deviennent français. Quelques jours auparavant, Marine Le Pen avait écrit aux 577 députés pour leur demander d’interdire la binationalité, une vieille revendication de son parti.
On le voit, l’essentiel du programme du FN a bel et bien été réalisé lors de la présidence de Nicolas Sarkozy. Pour preuve, la rubrique « sécurité et justice » des propositions du Front national pour la présidentielle se résume en quelques constats et propositions, alors qu’elle était l’essentiel du fonds de commerce du parti d’extrême droite il y a encore quatre ans. Devant la réalisation de son programme par la droite, il ne lui reste presque rien à imaginer, si ce n’est le rétablissement de la peine de mort, la suppression de l’École de la magistrature, l’interdiction du syndicalisme judiciaire, et le doublement du nombre des places de prisons (75 000 en plus)…
C’est ainsi qu’il n’est plus exact de parler, en termes de libertés publiques, et au bout de dix ans de législation sécuritaire [^5], de « risque de contamination des valeurs du Front national ». Nous sommes d’ores et déjà dans une République gangrenée par la politique de la peur et de la xénophobie d’État, considérant certaines populations comme inassimilables, les Roms, les étrangers, les personnes déjà condamnées, les mineurs des quartiers…
Les déclarations de la Droite populaire, d’Éric Ciotti à Éric Besson, de Claude Guéant à Brice Hortefeux, ne cessent d’enfoncer le clou de cette idéologie du Kärcher : le chômage, la délinquance, la maladie mentale, l’échec scolaire relèvent de la responsabilité et de la volonté individuelles. Aucune explication sociale n’est admise. Il n’y a donc pas d’autre voie que la sanction individuelle pour tous les « désaffiliés » du populisme sarkozyste.
[^2]: C’est la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.
[^3]: Loi d’orientation et de programmation de la sécurité intérieure.
[^4]: La Cour européenne des droits de l’homme et la Cour de justice des communautés ont condamné de façon régulière la France et d’autres pays pour les atteintes aux droits que constituent les violences policières, les gardes à vue sans avocat, l’absence d’indépendance des magistrats du parquet, les condamnations pénales d’étrangers en situation irrégulière, le fichage ADN massif et systématique des personnes soupçonnées d’avoir commis une infraction…
[^5]: La 26e loi restreignant les libertés a été adoptée le 22 juin 2011, c’est la loi sur les soins sous contrainte des malades mentaux, permettant de contraindre les personnes à des soins à leur domicile. Cela n’était jusque-là possible que pour les personnes hospitalisées d’office, qui menaçaient l’ordre public.