Faut-il vraiment changer d’heure ?
À quoi sert-il d’avancer nos montres d’une heure
en mars et de faire l’inverse en octobre ? À rien, estime Éléonore Gabarain, sinon à nuire à notre santé.
C’est très utile pour le réseau électrique, rétorque Éric Vidalenc.
dans l’hebdo N° 1175 Acheter ce numéro
Le changement d’heure, c’est-à-dire l’avancement d’une heure de fin mars à fin octobre, entraîne des préjudices et des coûts inadmissibles en ces temps de crise : il diminue le temps du sommeil quotidien car, en retardant l’arrivée de l’obscurité, il bloque une heure de plus la sécrétion de la mélatonine, notre hormone du sommeil. Les effets du « jet-lag » (syndrome du décalage horaire), souvent confondu avec l’heure d’été, ne sont pas comparables.
La fatigue causée par le changement d’heure pénalise le travail intellectuel et le travail physique. Pour les travaux de plein air, le retard de la pointe de chaleur constitue un facteur supplémentaire de pénibilité. En modifiant les rythmes alimentaires et en diminuant le temps de sommeil, le système « heure d’été » accroît le risque d’obésité.
Des études récentes ont évalué des augmentations des crises cardiaques (Institut Karolinska de Stockholm), des accidents du travail (Barnes, États-Unis) et des accidents de la circulation (étude canadienne et plusieurs autres études européennes) suivant l’avancement de l’heure au printemps. Côté énergie, divers travaux ont mis en évidence des surconsommations dues au chauffage et à la climatisation des logements, mais aussi à la circulation automobile (étude la plus récente : Kotchen et Grant, États-Unis), pouvant annuler ou dépasser les économies d’éclairage liées à l’avancement des activités.
Depuis 1985, l’Ached explique une évidence mathématique : les économies d’éclairage réalisées grâce à l’heure avancée seront fortement réduites par l’utilisation généralisée des lampes basse consommation. Dès lors, ces économies se retrouveront amplement dépassées par les surconsommations décrites ci-dessus.
Les loisirs ne peuvent être un prétexte pour le maintien des changements d’heure, le bilan global de ce secteur étant plutôt négatif, compte tenu des effets pervers vécus par tous en week-end et en vacances (sommeil à rattraper, trop de chaleur en début d’après-midi).
Depuis février 2011, plusieurs pays ont annoncé leur décision d’abandonner les changements d’heure au nom de la défense de la santé des populations : la Fédération de Russie, l’Égypte, l’Arménie, l’Ukraine… La Chine les avait précédés en dénonçant un « chaos » pour les chemins de fer, ainsi que le Queensland, en Australie, à la demande des cultivateurs.
C’est le moment pour la France de sortir honorablement de cette erreur en s’appuyant sur les progrès technologiques de l’éclairage. Notre gouvernement pourrait entraîner l’Allemagne, qui a bien étudié le problème depuis longtemps, et ensuite l’ensemble de l’UE. Les pays maintiendraient toute l’année l’heure de leur fuseau géographique ou bien une seule heure d’avance, car deux heures d’avance, c’est excessif et nuisible. Notre pays cesserait d’avoir son « heure d’été double » [le décalage d’une heure spécifique à l’heure d’été plus le décalage permanent d’une heure par rapport au soleil, NDLR], une exception quasi mondiale !
Et chaque pays reste libre d’avancer ses horaires d’activité dans l’échelle de l’heure sans toucher à celle-ci, ce qui évite la pression sur les transports des pays voisins et l’extension « en tache d’huile » de changements d’heure non désirés.
À l’Ademe, nous réalisons l’évaluation du changement d’heure en termes énergétiques. Nous le faisons non pas annuellement mais à intervalles réguliers. La dernière évaluation, en 2010, nous a permis de constater que des économies d’énergie étaient toujours réalisées avec le changement d’heure même si, par rapport à l’instauration de cette mesure, les économies ont tendance à se réduire et, le mix électrique ayant changé, ce n’est plus du pétrole que nous économisons.
En 2009, on a réalisé 440 GWh [^2] d’économies : pour donner un ordre de grandeur, on consomme en France annuellement environ 40 TWh [^3] électriques pour l’éclairage, dont environ 11 TWh pour l’éclairage résidentiel. Plus parlant : ces économies équivalent environ à la consommation d’éclairage de 800 000 ménages. Cela représente 44 000 tonnes de CO2 (sur un total, en France, d’environ 400 millions de tonnes de CO2). On voit donc que c’est une mesure qui a des effets réduits, mais dont le coût est minime, qui a aujourd’hui un impact sur les modes de vie, et qui est, globalement, plutôt bien acceptée par la population.
En outre, dans notre dernière évaluation, nous avons souhaité avoir une vision à long terme. À l’horizon 2030, les économies devraient encore se réduire, de 440 GWh à 340 GWh environ. Cela s’explique notamment par le fait que l’on utilise des équipements plus efficaces et moins gourmands en énergie : à l’époque où l’on a mis en place le changement d’heure, on utilisait notamment des lampes à incandescence ; aujourd’hui, on utilise de plus en plus de lampes dites basse consommation. Et l’on devrait utiliser à l’avenir des technologies qui consomment encore moins, comme les LED. Or, puisque la consommation du poste « éclairage » devrait diminuer, les économies réalisées auront aussi tendance à diminuer. Concernant la climatisation, un usage en développement, un gain de l’ordre de 130 GWh pourrait être réalisé au même horizon 2030.
Mais le changement d’heure permet surtout d’économiser de la puissance électrique. Ainsi, avec le changement au printemps, on parvient à écrêter le pic de consommation, qui constitue aussi un problème pour la stabilité du réseau. On avait estimé cette baisse de puissance jusqu’à 3,5 GW, quand les plus forts pics de consommation à 19 heures, en hiver, atteignent 95 GW, et se situent autour de 60 GW en automne ou au printemps. On voit donc qu’en termes de puissance, ce n’est pas du tout négligeable. Même si, dans ce cas, ce n’est pas une véritable économie d’énergie mais une économie de puissance qui a des effets positifs principalement sur le système de production électrique en termes de stabilité et de sécurité d’approvisionnement.
On peut donc conclure que ce changement d’heure permet des économies d’énergie certes modestes, mais qui ont un coût assez faible, voire quasi nul. Ce que l’on dit à l’Ademe est : puisqu’on a inscrit dans la loi en 2005 (loi Pope confirmée par le Grenelle de l’environnement) la réduction d’un facteur 4 des émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2050, on se doit de mettre en œuvre un ensemble de mesures pour atteindre cet objectif de politique nationale, objectif en cohérence avec le Paquet énergie-climat européen et les objectifs de réduction de gaz à effet de serre. Le changement d’heure ne fait donc sens que dans un ensemble de mesures : ce n’est pas la mesure miracle, mais elle participe à réaliser, même modestement, des économies d’énergie.
[^2]: GWh : gigawattheure, soit un milliard de wattheures.
[^3]: TWh : terawattheure, soit mille milliards de wattheures.