La crise de conscience des altermondialistes

Réunis en petit nombre à Nice, les altermondialistes tirent un constat unanime : le mouvement social mondial a changé de forme. Entre enthousiasme et interrogation, ils abordent l’avenir sans certitude. Reportage.

Erwan Manac'h  • 3 novembre 2011
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La crise de conscience des altermondialistes

Au deuxième jour du « Forum des peuples », le 2 novembre à Nice, les débats se sont organisés dans l’ancien abattoir de la ville. Ailleurs dans la cité azuréenne, chaque association membre du collectif a tenu son action militante, sa table ronde ou sa conférence. Beaucoup ont aussi profité de ce temps fort pour se regrouper en congrès ou en assemblée générale.

Ce mercredi en début d’après-midi, une poignée de manifestants d’Oxfam, un collectif international d’organisation luttant contre la pauvreté, a pris la pose, masques d’Obama, Sarkozy ou Merkel devant le visage, pour signer symboliquement la « taxe robin des bois » sur les transactions financières. Un happening aux petits oignons pour la presse du monde entier, venue prendre des images à quelques hectomètres de la Promenade des Anglais. Quelques heures plus tard, 150 militants ont suivi Attac dans le rues de Nice pour une opération, très bon enfant, de « nettoyage des banques », autorisée par les forces de l’ordre pourtant sur les dents depuis bientôt 48 heures. À Cannes, neuf militants pro-Tibet ont été brièvement interpellés après l’installation d’une banderolle « assez » sur la banderole officielle du G20, « Welcome ».

Illustration - La crise de conscience des altermondialistes

La foule, réduite à un petit millier de militants venus de loin pour la plupart, s’est retrouvée dans l’ancien hangar industriel où siège le contre-sommet pour une « Assemblée européenne ». Militants syndicaux, altermondialistes, Indignés espagnoles ou italiens se sont succédés au micro, au service d’une convergence des mouvements européens et d’une synchronisation de leurs calendriers.

Tous les esprits sont tournés vers le mouvement civique et « apartisan » des « indignés », qui s’est approprié les formes des forums sociaux en rejetant son appartenance à ce mode de mobilisation. « Quelque chose de nouveau a commencé, s’enthousiasme une indignée barcelonaise dans un français impeccable. Personne ne s’y attendait, mais c’est arrivé et je pense que ça arrivera aussi en France. Je veux lancer un message d’optimisme, nous devons continuer à nous unir et laisser de côté notre ‘précédence’ de militantisme et d’activisme. »

À quelques mètres derrière l’entrepôt, où les indignés , principalement espagnols, ont installé leurs tentes, une assemblée générale a été convoquée quelques temps après la fin de l’ Assemblée européenne. La rumeur fait état de la condamnation en comparution immédiate de trois Espagnols à un mois de prison, après leur interpellation la veille en possession de boulons, piolets, cagoules et masques à gaz. Massés en rangs serrés autour d’un feu, 300 personnes se passent la parole rapidement.

Une discussion interminable commence, entrecoupée de « points techniques » sur les règles de la « démocratie réelle » , avec la théâtralité et la gestuelle des assemblées autogestionnaires. Les critiques ciblent Attac, principal organisateur du « Forum des peuples », qui fait presque figure d’odieux complice du capitalisme. « Ils veulent encore des chefs, ils sont complètement déconnectés de la réalité » lance « Halin », indigné venu des Ardennes, avec un revers de main en direction des « syndicalistes » qui finissent de débattre. Les militants encartés, « nous les reconnaissons dans les assemblées, ils veulent tout le temps qu’on fasse grève et qu’on ait des revendications », ajoute-t-il.

Illustration - La crise de conscience des altermondialistes

Palpitant de stress, épris de fatigue, Raphaël Pradeau, « vieux con qui va avoir trente ans » et membre du collectif d’organisation de l’alter-G20 et d’Attac, dit son agacement devant l’intrusion impromptue des indignés dans un mouvement qui se prépare depuis des mois. «  Il y a des malentendus, car ils veulent une organisation spontanée alors que nous avons des consignes de sécurité à respecter. »

À l’intérieur, les militants se passent le micro à la recherche des conclusions qu’ils pourraient tirer de cette mobilisation « spontanée » qui cristallise un profond rejet de la « politique partisane » . Une militante d’Attac s’interroge : « Il y a des choses extrêmement positives qui se passent. Mais ce qui est en train d’être bousculé, c’est notre capacité d’agir (…) et j’espère que cela va continuer. » « L es citoyens voient l’impuissance de nos contre-sommets et leur caractère rituel et inutile, analyse Thomas Coutrot, coprésident d’Attac. Ils sont en train de choisir d’autres modes d’action pour faire entendre leur voix. » Force est aussi de constater, comme le rappelle au micro un syndicaliste basque, que la capacité du mouvement altermondialiste à rassembler s’est amenuisée. En 2000, la confédération européenne des syndicats avait permis la mobilisation de 50 000 manifestants dans une des villes les plus à droite de France, contre l’adoption du Traité européen. « Nous étions 10 000 indignés venus du monde entier le 15 octobre à Bruxelles », pointe « Halin », les yeux brillants.

« Aujourd’hui il y a un désintérêt pour le mouvement altermondialiste , regrette Raphaël Pradeau, pas très à la fête en ce début de soirée. Les médias adorent la nouveauté et on a l’impression que si on changeait de nom, on reparlerait à nouveau de nous. » « L’apparition de ces mobilisations spontanées est une bonne chose. En France, ce n’est pas évident vue l’omniprésence du mouvement syndical, analyse Florent, militant NPA de Clermont-Ferrand *. Mais la* spontanéité a aussi ses limites. On a parfois l’impression que les indignés réinventent la roue tous les soirs. Pour durer et avancer, il faut s’organiser. Se structurer. Le mouvement social doit accumuler de l’expérience. »

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Économie Monde
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