La finance débarque Berlusconi

Ni l’opposition ni la rue n’ont chassé le Cavaliere, qui a démissionné sous la pression des marchés financiers. Son départ sonne ainsi paradoxalement comme une défaite de la démocratie.

Olivier Doubre  • 17 novembre 2011 abonné·es

Jeudi 10 novembre, au lendemain de l’annonce par la présidence de la République italienne du départ «  prochain  » de Silvio Berlusconi du gouvernement, prévu d’abord « dans quelques semaines » , après « l’adoption du budget de l’État » portant les mesures d’austérité exigées par les marchés, la Commission européenne et le FMI (sans oublier le couple Sarkozy-Merkel), le quotidien de la Confindustria (équivalent du Medef), Il Sole/24 ore, titrait en une : « Fate presto ! » (« Faites vite ! » ). Un titre étonnant de la part de l’organe officiel de la classe dirigeante transalpine, qu’aurait pu faire le quotidien de la gauche critique italienne, Il Manifesto – comme le reconnaissait avec ironie son directeur-adjoint, Angelo Mastrandrea.

Une telle impatience s’expliquait par l’interrogation qui demeurait à Rome sur la date et même la réalité du départ annoncé du Cavaliere, après sa mise en minorité au Parlement – de quelques voix seulement – lors du vote sur une partie du budget, et alors que l’Italie, sous le coup d’attaques spéculatives, a vu en quelques heures les taux d’intérêt de sa dette s’envoler à près de 7 %. C’est évidemment cette hausse exponentielle qui affole le grand patronat italien et les 8 millions de petits entrepreneurs du pays.

L’Italie avait déjà été profondément heurtée dans son amour-propre par les petits rires d’Angela Merkel et de Nicolas Sarkozy, lors du dernier G20, en guise de réponse à une question d’un journaliste sur la confiance qu’ils avaient en Silvio Berlusconi. À tel point que le président de la République, Giorgio Napolitano, n’a pas hésité à protester officiellement par une déclaration empreinte d’une certaine solennité.

Après sa mise en minorité au Parlement (due à la défection, selon ses termes, de huit « traîtres », membres de son parti), Berlusconi s’est d’abord senti obligé d’assurer l’opinion de son départ, puis s’est finalement résolu, le week-end dernier, à démissionner, quittant le palais présidentiel sous les huées, après avoir donné sa bénédiction à son successeur, Mario Monti, tout juste nommé sénateur à vie par le président Napolitano (1).

Ancien commissaire européen, et ex-conseiller international pour l’Europe de la très controversée banque Goldman Sachs, l’homme provient donc de cette institution qui spécula outrageusement sur la dette des pays de la zone euro et prit une part prépondérante dans le « maquillage » des comptes grecs durant la première partie de la décennie 2000. Mais il apparaît comme l’un des hommes « rigoureux », « sérieux » , selon la presse, capables de réduire, à coups de privatisation de pans entiers de services publics, de gel des conventions collectives et de «  réforme  » du système des retraites, l’énorme dette italienne, de plus de 1 900 milliards d’euros. Plus de 120 % du PIB transalpin…

Il reste que ce qu’il est désormais courant en Italie de qualifier de «  ventennio  » berlusconien (terme faisant référence aux vingt années de fascisme mussolinien) s’achève du fait d’un diktat des marchés financiers ! Comme pour la chute des Premiers ministres portugais, Socrates, espagnol, Zapatero, et grec, Papandréou.

Attendu depuis si longtemps, en particulier par la gauche italienne (toujours aussi divisée et sans leader d’envergure), ce départ du Cavaliere, après tant de scandales financiers et sexuels, une conduite du pouvoir mêlant immobilisme, ultralibéralisme brouillon et des lois ad personam favorisant ses propres intérêts privés, a été accueilli par les cris de joie de quelques dizaines de personnes. Mais la réelle dynamique de cette démission n’en est pas moins inquiétante.

Car ni la justice, ni l’opposition, ni la rue – en dépit de manifestations monstres ces dernières années –, ni même l’Église (qui, après l’avoir longtemps soutenu, ne s’est pas privée ces derniers mois de le critiquer durement), ne sont la cause de la chute de l’homme d’Arcore (du nom de sa somptueuse résidence près de Milan). Ni encore les fameuses soirées « bunga-bunga » avec des jeunes filles parfois mineures, même si elles ont contribué à brouiller un peu plus l’image de ce fanfarone d’opérette, au pouvoir (pour la troisième fois) depuis 2008.

Ce sont bien les marchés qui ont lâché l’un de leurs plus fameux représentants. Il s’agit là d’un tournant historique : face à des États trop faibles économiquement pour leur résister et face à une Europe trop faible politiquement pour s’opposer à eux, les marchés viennent de confirmer leur réelle supériorité sur le politique. Et sur les politiques eux-mêmes, avec souvent leur assentiment.

La chute de Berlusconi n’a donc, paradoxalement, rien de réjouissant. Même s’il est appréciable de se débarrasser d’un personnage vulgaire, misogyne et arrogant – mais a-t-il définitivement tiré sa révérence ? –, elle sonne comme un recul de la démocratie.

Monde
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