Les Verts ont-ils fait une erreur ?
L’accord passé entre le PS et EELV, voté à 74 % par le conseil fédéral d’EELV, suscite la polémique. Pour Martine Billard, c’est une capitulation qui révèle surtout des ambitions politiques. Pour Francine Bavay, c’est une réelle avancée.
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Éblouis par leurs résultats aux élections européennes et régionales, les dirigeants d’EELV ont cru pouvoir dicter leurs conditions. Face à leur candidate, en panne dans les sondages, un François Hollande en quête d’une opportunité pour installer publiquement son autorité en a décidé autrement. Exit les exigences sur la fermeture de l’EPR, bonjour députés et ministres !
Le bilan de cet accord de gouvernement est sans appel : Europe Écologie s’est aligné sur le Parti socialiste au prix de formules alambiquées chargées de masquer les abandons sur le fond.
Pourquoi cette capitulation ? EELV a de gros problèmes financiers, et le scrutin par circonscription suppose une forte implantation locale que ce parti ne possède pas actuellement.
Le résultat est pour le moins discutable. Côté nucléaire, pas de rupture, au point de désavouer la candidate, mais un accord qui de fait prend partie pour EDF contre Areva et, au passage, entérine la prolongation de la durée de la vie des réacteurs nucléaires. Curieusement, aucun désaccord n’est acté concernant la politique d’austérité portée par François Hollande et renforcée par les annonces de réduction des dépenses de santé du vendredi 18 novembre. Enfin : alignement sur la position du PS en matière d’âge de départ en retraite, disparition de la VIe République, flou habituel sur l’introduction de la proportionnelle.
Comment expliquer alors la signature d’un accord si médiocre, de l’avis même de beaucoup d’animateurs du parti écologiste ? À l’arrivée, peut-être un groupe autonome à l’Assemblée, à condition que les éventuels dissidents n’arrivent pas en tête, mais pour cautionner quelle politique ?
Outre une présence significative au Parlement et une circonscription sans risque à Paris pour Cécile Duflot, la perspective de devenir ministre suscite, semble-t-il, de nombreuses vocations.
Plus globalement, alors que les processus de primaires avaient vocation à associer le maximum de citoyens au choix du candidat, pourquoi décider du contenu programmatique dans des négociations d’états-majors ?
Pourquoi réclamer des conférences de consensus sur la politique d’immigration et refuser un débat citoyen sur le nucléaire ?
Dans ces conditions, quelle sera la marge de manœuvre d’Eva Joly pour la campagne présidentielle et quelle sera sa crédibilité si à chaque position affirmée, notamment sur la sortie du nucléaire, il lui est répondu que la question a déjà été tranchée dans l’accord signé par son parti ? Que vont penser les associations qui ont cru aux déclarations sur l’abandon de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes et de l’EPR ? Comment les militants qui ont adhéré aux discours de leurs dirigeants pourront-ils continuer dans les mobilisations à prendre la parole au nom de leur parti ?
Entre une candidate écologiste qui ne se sent pas engagée et un candidat socialiste qui annoncera son programme de gouvernement plus tard, de qui se moque-t-on ? Un tel marchandage n’apparaît pas de nature à redonner confiance en la politique.
Ce n’est pas un bon programme, ce n’est ambitieux ni socialement ni d’un point de vue environnemental, nous dit-on. Avec raison, car cela n’a jamais prétendu l’être !
Sur les quatre conditions incontournables qui avaient été posées, seules deux voient un début d’engagement (retraites, proportionnelle) bien timide, les autres (arrêt des projets EPR et aéroport Notre-Dame-des-Landes) en ayant été sorties.
Il y a moult raisons d’insatisfaction (voir le blog d’Alain Lipietz), moult raisons pour EELV de continuer à faire entendre sa voix en toute autonomie pendant les campagnes 2012. Pourtant, les négociateurs ont eu raison de proposer le texte au conseil fédéral en l’état, et lui de l’entériner.
Car un phénomène majeur est à l’œuvre : grâce à cette négociation, notre société entre enfin dans l’ère du désengagement nucléaire, bien plus loin que les négociateurs PS ne l’ont sans doute imaginé. Des socialistes qui avaient refusé d’avancer depuis 1997, soit directement soit en se cachant derrière le PCF, reconnaissent la nécessité de fermer 24 centrales nucléaires vieillissantes plutôt que de prolonger leur durée de vie : il se passe quelque chose d’essentiel, on sort du débat pour passer à l’acte. Même celles et ceux qui ont voté contre l’accord le reconnaissent.
Refuser cet accord aurait mis cette avancée « dans le monde réel » en danger. Aucun antinucléaire responsable qui, comme moi, a bataillé des dizaines d’années n’est prêt à prendre le risque de donner au PS un alibi pour revenir sur cet engagement. Attention au syndrome LCR : la taxe Tobin, qui serait bien utile aujourd’hui, a été enterrée par des radicaux insatisfaits de la pusillanimité d’une étude !
Mais qu’aucun antinucléaire ne se réjouisse ou ne se repose, la route est longue et les embûches nombreuses. Parmi elles, ce beau référendum proposé par nos amis du Front de gauche pour dépasser leurs désaccords internes. Parfois, qui veut faire l’ange fait la bête. Quand est proposée la fermeture de 24 réacteurs, se replier sur un débat même référendaire qui fait repartir la négociation à zéro est pour le moins paradoxal. Et quand de « belles personnes » comme mon amie Corinne Morel Darleux interpellent EELV sur l’accord, ne devraient-elles pas aussi interpeller les partenaires du PG dans le Front de gauche sur le nombre de centrales à fermer ? Celle qui avait obtenu en 2006 l’engagement, qui a duré une semaine seulement, de Marie-George Buffet de fermer Fessenheim au titre de la sécurité des travailleurs et des populations avoisinantes sait de quoi elle parle !
Plutôt que de vilipender, de jouer la concurrence destructrice à gauche, j’interpelle Jean-Luc Mélenchon. Est-il prêt à demander maintenant à nos concitoyens : souhaitez-vous aller plus loin et sortir totalement du nucléaire, abandonner les 3e et 4e générations de réacteurs pour concentrer la recherche sur le traitement des déchets ultimes, qui vont avoir un impact pendant 20 000 années ? Le débat sur l’énergie ne doit pas être escamoté par une promesse de référendum pour « plus tard si nous avons le pouvoir ».