T’étais qui, toi, déjà ?

Nassir et John visitent le zoo de New York avec leur classe quand ils apprennent qu’un avion vient de s’encastrer dans une des Tours jumelles. « Pedro dit qu’il a vu un film comme ça, c’est sûrement la Tour infernale. Barry dit que son oncle travaille là-bas… »

Le ton rappelle un peu celui du Petit Nicolas . En bas de page, un texte plus petit explique : « Le 11 septembre 2001, à l’initiative d’Al Qaïda et de son chef Oussama Ben Laden, deux avions détournés… » À côté, une photo montre les tours en feu. Sur la page de droite, un dessin représente une femme, le portable à l’oreille, avec deux garçons qui lèvent les yeux vers elle…
Le soir d’Halloween, Nassir retrouve John. Celui-ci lui apprend que ses parents lui interdisent de le voir parce que son père est musulman. « Je ne m’appelle pas Ben Laden ! » , se défend Nassir…

Faire raconter le 11 septembre 2001 par un petit New-Yorkais d’origine égyptienne, c’est l’idée de l’écrivain Bernard Chambaz et de l’illustrateur Barroux [[-Je ne m’appelle pas Ben Laden, Bernard Chambaz et Barroux, Rue du Monde,
37 p., 13,80 euros.]]. Plutôt que d’expliquer de manière didactique qui était le leader d’Al Qaïda, ils ciblent les effets de son action et conjuguent deux niveaux de lecture : documentaire et fiction. C’est moins qui était Ben Laden qui demeure en mémoire que ce que son action a changé dans l’histoire de ces enfants.
L’empreinte laissée par un personnage historique, c’est aussi l’enjeu de la collection « Ceux qui ont dit non » : à l’homophobie, au massacre du peuple indien, à l’erreur judiciaire… [[Non à l’homophobie, Safia Amor ;
Non au massacre
du peuple indien, Elsa Solal ;
Non à l’erreur judiciaire, Murielle Szac ; Actes Sud Junior, 95 p., 7,80 euros.]] À chaque fois, une journaliste tente de défier les limites du roman historique : habiller des anecdotes, donner chair à une biographie, mais ne parvient pas toujours à faire passer son intérêt personnel pour le personnage…

En se glissant dans la peau de la femme de Zola, Murielle Szac trouve néanmoins un souffle qui restitue le théâtre de l’affaire Dreyfus. Elsa Solal, pour parler de l’erreur judiciaire frappant le militant amérindien Leonard Peltier, passe par une mise en scène : chaque chapitre porte indications de lieu et de mouvement, tandis que plusieurs voix se rencontrent, celles de l’acteure et celle du témoin.

Dans la collection « T’étais qui toi ? », Churchill et Robespierre [[Churchill, Marcelino Truong
et Jean-Christophe Mazurie ;
Robespierre, Philippe Lechermeier et Guillaume Long, Rue du monde, 80 p., 7,80 euros.]] ont droit à des illustrations. Le lectorat visé est un peu plus jeune (9 ans), le ton plus détendu et complice (malgré la guillotine dissuasive qui hante la couverture du Robespierre , comme s’il en était l’inventeur…). Philippe Lechermeier et Guillaume Long s’essaient à un portrait plus contrasté que dans les manuels. Pour son biopic, Churchill a droit à une sorte de voix off qui joue la connivence (clin d’œil à Harry Potter) et la décontraction.

Plus le lecteur est (censé être) jeune, plus le dessin prend de place. D’où de véritables duos plume-crayon dans la collection « Petit deviendra grand ». Outre l’univers dont chaque illustrateur [[-Petit Jacques deviendra Prévert, Carole Aurouet et Bruno Heitz ;
Petit Charlie deviendra Charlot, Bernard Chambaz et Pef ;
Petit Pablo deviendra Picasso, Karim Ressouni-Demigneux Zaü ;
Rue du monde, 45 p., 9,50 euros.]] entoure la vedette, comptent surtout les idées forces retenues par les auteurs : le milieu social du personnage, l’influence de ses parents… Picasso n’a jamais dessiné de dessins d’enfants, Prévert et Chaplin étaient pauvres comme Job, le premier a empêché son père de se suicider et appris à lire avec sa mère, le second a commencé à remplacer la sienne sur scène à cinq ans… Vraies ou pas, ces anecdotes impriment moins des faits qu’émotions et caractères.

Le moins connu de tous ces personnages n’a jamais existé, ou alors mille fois ! C’est une figure type : le mec de gauche en devenir. Il se prénomme Léonard, il doit avoir 10 ans [^2]. Il se pose des questions sur les différences de goûts, sur sa « sensibilité »… et il les renvoie à son grand-père, plutôt de droite. Disque-album folklo illustré avec des interludes musicaux (Vincent Delerm), l’ensemble ne manque pas d’humour. Utile pour se moquer des clichés !

[^2]: Léonard a une sensibilité de gauche, Vincent Delerm, voix de Batiste Rebotier et Jean Rochefort, illustré par Blanca Gomez, Actes Sud Junior et Tôt ou Tard, 23 euros.