Webdoc, en être ou pas
Au cours du festival des Escales documentaires, à La Rochelle, ont été débattus les enjeux du webdoc, nouveau genre audiovisuel auquel France Télévisions commence enfin à s’intéresser, après une longue période de suspicion.
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Projections par-ci, tables rondes par-là. Parmi la quarantaine de films sélectionnés, se sont notamment distingués Palazzo delle Aquile , de Stefano Savona, relatant l’histoire de ces dix-huit familles sans abri à Palerme occupant un bâtiment officiel pour obtenir un logement, la Juge et l’affaire des dioxines , de Clarisse Feletin, revenant sur l’affaire au tribunal d’Albertville d’un incinérateur d’ordures défectueux, à l’origine de cancers, et encore My Perestroika , de Robin Hessman, tableau de la Russie actuelle, avec ses rêves, ses défis et ses défaites. À côté d’une réflexion articulée autour du traitement journalistique du fait divers, un autre débat s’est distingué dans ces Escales de La Rochelle : l’écriture du documentaire à l’heure du transmédia ; ou ce qu’on appelle aussi le cross-média, c’est-à-dire le web documentaire. Ce qui vaut au docu traditionnel d’être maintenant rebaptisé « documentaire linéaire ».
C’est quoi le webdoc ? « Le fruit d’un métier poreux » , a répondu d’emblée Bruno Massi, réalisateur de la Zone, un webdoc consacré à Tchernobyl, présent à cette table ronde, aux côtés du documentariste Joseph Beauregard et de Dominique Papon, délégué régional des antennes de France Télévisions en Poitou-Charentes. Un métier poreux conjuguant la narration, l’image et le son, une conversion des regards recourant parfois à l’univers de la bande dessinée. Un genre où le spectateur devient actif, intégré dans les choix de la réalisation. Le jeu vidéo est une source d’inspiration en termes d’écriture, guidant, accompagnant le spectateur. Question de « délinéarité ». Pour les réalisateurs, il s’agit de créer une interactivité maîtrisée. À eux de rester chefs d’orchestre.
Si, on l’a bien compris, le webdoc est l’expression de tous les possibles, le débat a vite tourné sur le nerf de la guerre. À l’ère des modes de diffusion bouleversés, quel est son modèle économique ? Pour l’heure, il est fragile, relevant des bonnes intentions ou de solides convictions dans le genre, pour des œuvres dont le financement oscille entre 90 000 et 150 000 euros.
La Zone, de Bruno Massi, a été produit par Agat Films et financé par le CNC, accompagné également d’une publication aux éditions Naïve et d’une installation interactive à la Gaité lyrique. François Duprat, une histoire de l’extrême droite , de Joseph Beauregard, a trouvé son financement du côté de l’INA et du Monde.fr.
Depuis 2007, le CNC a soutenu près de 180 projets (pour un montant total de 6 millions d’euros). Si peu d’œuvres se sont distinguées, comme Gaza/Sderot, Prison Valley ou le Corps incarcéré, à l’évidence le genre explose. Pas de hasard si de plus en plus de festivals lui consacrent une sélection et une compétition (le Fipa, à Biarritz, par exemple).
Pendant longtemps, les grandes chaînes, à l’exception d’Arte, n’y ont pas cru et n’ont pas investi dans le webdoc, au contraire du Monde.fr et de Libération.fr [^2]. « On fait de la télévision pour la télévision » , s’est défendu Dominique Papon. Le propos souligne la réticence des chaînes et de nombreux acteurs de l’audiovisuel classique à l’égard du webdoc. Pas très étonnant. La télévision tient son monopole de diffusion depuis plus de soixante ans. Sauf que voilà : le webdoc représente un autre mode de diffusion, change les codes. Doucement, les mentalités évoluent.
Ainsi, en recrutant en juin 2011 Boris Razon, ancien rédacteur en chef du Monde.fr, l’un des acteurs essentiels du webdoc (avec Joël Ronez, au pôle web d’Arte durant quatre ans, passé à Radio France), France Télévisions témoigne désormais de son intérêt pour ce nouveau genre.
[^2]: Politis.fr a diffusé pour sa part le webdoc 17.10.61.