Accouchement sous X : le supprimer ?
Entre le besoin de chacun de connaître ses origines et la nécessité de protéger l’identité des femmes qui accouchent sous X, que privilégier ? Pierre Verdier se prononce pour la levée de l’anonymat tandis que Danielle Gaudry s’y oppose, invoquant le primat du lien social sur le lien biologique.
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Pierre Verdier
Avocat au barreau de Paris et président
de la Coordination des actions pour le droit
à la connaissance des origines (Cadco).
La France a cette particularité qu’un enfant peut naître de personne. En effet, un décret-loi signé par Philippe Pétain en 1941 a légalisé l’accouchement sous X. Cette procédure permet à une femme d’accoucher sans laisser son nom, privant ainsi définitivement son enfant de son identité.
Il y avait en 1941 un contexte social et politique particulier. Depuis, bien des choses ont changé : être mère hors mariage (fille-mère, disait-on) n’est plus une honte, et la contraception puis l’interruption volontaire de grossesse ont été autorisées. Mais le phénomène nouveau, c’est la prise de parole des personnes concernées, essentiellement les mères, les enfants et les pères.
Les femmes qui ont été amenées à accoucher sous X, et qui se sont regroupées en association, nous disent quelle violence cela représente pour elles. Ce n’est jamais une liberté. Personne ne conçoit un enfant pour l’abandonner. Bien sûr, elles étaient en difficulté, mais d’autres voies plus respectueuses et plus humaines étaient possibles, comme la remise de l’enfant pour adoption dans la transparence, ou un accueil pour que la mère et l’enfant restent ensemble. Combien de femmes recherchent désespérément cet enfant leur vie entière, dans l’impossibilité de faire le deuil de ce qui est censé ne pas avoir existé ?
Les enfants, surtout, vivent cette amputation comme un manque que l’adoption, même réussie, ne peut effacer. André Comte-Sponville disait au Congrès de l’Unaf (Union nationale des associations familiales) à Bordeaux en 1989 : « Nul n’est tenu d’être père, nul n’est dispensé d’être fils. » Avec le sentiment d’injustice lorsque les enfants savent que cette information essentielle pour eux est dans un dossier que l’Administration leur refuse. Eux aussi ont constitué des associations et refusent que les « spécialistes » parlent à leur place et leur disent que ça ne sert à rien de savoir et qu’ils ne peuvent qu’être déçus.
Que nous disent-ils ? Qu’un être humain est le fruit de plusieurs filiations : qu’il a besoin pour vivre humainement que quelqu’un lui donne la vie, que quelqu’un l’aime et l’élève et que quelqu’un le nomme et le reconnaisse. Mais qu’entre ces trois filiations il n’y a pas à choisir – que ce n’est pas l’une ou l’autre mais l’une et l’autre. Tous les enfants adoptés nous disent : nos parents, ce sont nos parents (d’ailleurs ils ne disent pas « adoptifs »), mais ce n’est pas pour cela que nous n’avons pas un besoin existentiel de connaître notre origine.
Enfin les pères, injustement privés de leur paternité, se manifestent aussi comme l’ont montré plusieurs procès récents.
En outre, cette pratique archaïque est contraire aux engagements internationaux de la France, la Convention européenne des droits de l’homme et la Convention internationale des droits de l’enfant. Celle-ci prévoit que l’intérêt de l’enfant doit être une considération primordiale dans toute décision qui le concerne, et qu’il a, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d’être élevé par eux.
Alors que craindre en cas de levée de l’anonymat ? Les conservateurs opposent le risque d’abandons sauvages ou d’infanticides. Relevons que les pays qui ne connaissent pas cette procédure, c’est-à-dire quasiment tous, n’ont pas plus d’infanticides que la France. Les problèmes ne sont pas liés : les mères en difficulté ne sont pas toutes des meurtrières en puissance.
Il y a moyen de créer en France, comme dans les autres pays, un système qui respecte le droit des mères à une protection, le droit des adoptants à une sécurité et le droit des enfants à la vérité.
- Danielle Gaudry
gynécologue et coresponsable
du Planning familial.
La loi actuelle permet aux femmes qui le souhaitent d’accoucher sans décliner leur identité tout en laissant dans leur dossier des informations non identifiantes ou leur identité, selon leur choix. Ces informations sont gardées par le Conseil national pour l’accès aux origines personnelles (Cnaop), qui peut lever le secret à tout moment. L’enfant peut avoir accès à ces informations à sa majorité, en son nom propre, ou par l’intermédiaire de ses parents adoptifs avant ses 18 ans. L’identité de la mère n’est dévoilée que si celle-ci est d’accord. L’équilibre entre le droit d’une femme à ne pas être mère et celui d’un enfant à connaître ses origines y est préservé.
La proposition de Brigitte Barèges (députée UMP, NDLR) de modifier l’accouchement « dans le secret, dit sous X » , vers un accouchement « dans la discrétion » , sous la pression du courant du droit à connaître ses origines à tout prix, remet en cause l’anonymat. Elle semble ignorer le risque, pour la mère et l’enfant, d’un accouchement sans suivi de grossesse et hors de toute structure que pourraient prendre les femmes de peur d’être identifiées. Le premier droit de l’enfant est pourtant celui d’être bien portant et non exposé à des risques. La mise en œuvre de sa protection est une obligation légale.
Qu’est-ce que l’origine ? L’identité ? Un récit ou une histoire ? Qui aujourd’hui détient la vérité sur sa naissance, connaît ce qui a conduit à sa conception ? Pour qu’un fœtus évolue en « enfant de ses parents », il faut qu’il ait été pensé, désiré par eux. Désirer ne veut pas dire fabriquer, et fabriquer un enfant ne veut pas dire en faire le projet. C’est le projet parental qui est structurant, et non la procréation.
Avant de supprimer l’anonymat, il faut se demander si l’application de la loi actuelle ne peut pas être améliorée, concernant les informations données aux femmes et leur accompagnement jusqu’à l’accouchement et après. Or, les financements d’associations spécialisées dans ces démarches, comme Illythie, ont été supprimés.
Un travail important en direction des familles de parents adoptifs est également nécessaire pour que les droits des enfants soient le mieux possible intégrés à leur éducation.
Les règles gouvernant le droit de la filiation pour tout enfant dissocient la procréation (fait biologique) de la filiation (lien juridique socialement organisé). Celle-ci est assujettie à la reconnaissance de l’enfant par ses deux parents, même non mariés, ou peut être contestée au sein du mariage, concernant la paternité.
C’est la parenté sociale énoncée par une femme et/ou un homme qui l’emporte sur la vérité biologique. Occulter ce fait, c’est renforcer l’idéologie du primat des liens du sang sur les liens affectifs et sociaux (comme lorsque le lien familial est dénié dans le cas de parents étrangers à qui on demande de faire la preuve de leur parenté par un test ADN, par exemple). Cette dérive peut faire le lit du racisme. En ces temps de crise sociale et économique, c’est renforcer les extrémismes.
Le Planning familial a toujours agi pour une société où les droits des unes ne s’opposent pas aux droits des autres.