Devenir président et le rester : le pouvoir de la com’
Portrait filmé des « communicants »
qui ont fait élire François Mitterrand puis Jacques Chirac.
dans l’hebdo N° 1179 Acheter ce numéro
Certaines images font l’histoire. On se souvient des positions fermes, contre l’opinion publique, de François Mitterrand pour l’abolition de la peine de mort, en 1981. Certaines campagnes donnent le pouvoir. « Image et campagne naissent de stratégies complexes, conçues dans l’ombre des candidats » , dit la voix off de ce documentaire. Qu’on se souvienne : « la Force tranquille » et « Génération Mitterrand »…
Derrière ces slogans, deux hommes : Gérard Colé et Jacques Pilhan. Le réalisateur livre deux portraits croisant le fer avec l’histoire. En prenant 1980 pour point de départ, quand Mitterrand s’entoure de Gérard Colé, publicitaire fortuné, sincèrement à gauche, songeant que « Mitterrand est un bon produit, mal exploité » . Avec une bonne pub, il peut gagner. Si la communication s’appelle encore la propagande, dans les milieux proches du candidat socialiste, on reste sceptique. Il n’empêche. Colé embarque un photographe de mode. Tombent les premiers clichés : « Le socialisme, une idée qui fait son chemin. » Mitterrand pose devant un paysage maritime ouvert sur l’infini.
Gérard Colé engage Jacques Séguéla, « la face connue d’une histoire usurpée » . Dans les faits, Colé tire les ficelles. Pour la première fois en France, un politique se soumet à une stratégie publicitaire. Dans l’ombre également, ou plutôt en free-lance, brillant tubard, Jacques Pilhan vient épauler Colé. En route pour « l’homme qui veut contre l’homme qui plaît » , c’est-à-dire Mitterrand contre Giscard.
Colé et Pilhan dessinent alors un style, façonnent le verbe. En trois mois, Mitterrand inverse la tendance, passe en tête des intentions de vote. On connaît la suite. Livrant le détail de chaque opération de com, détaillant un nouveau métier qui s’appuie sur des questionnaires de groupes qualitatifs, Cédric Tourbe mêle archives et sobres entretiens, avec notamment Gérard Colé, Jean Glavany et Hubert Védrine (Pilhan est mort en 1998).
Après la chute de popularité du président en 1984, le duo de communicants, que les Anglo-Saxons nomment spin doctors, reprend du service. Leur intervention ira jusqu’à installer un studio télé à l’Élysée et fixer l’agenda présidentiel sur le petit écran. Le 28 avril 1985, face à Mourousi, le « câblé » plutôt que le « chébran » en est un exemple. Suivra une campagne de « supplication » pour gagner en 1988, facilement.
Plus tard, Pilhan œuvrera pour Chirac et une « fracture sociale » efficace. Devant Balladur, début 1995, on ne donnait pourtant pas cher de sa peau. C’est tout l’intérêt de ce film : au-delà des portraits, montrer combien l’écriture médiatique conçue par les gourous de l’Élysée transforme « l’improbable en possible, et le possible en victoire ». Une écriture qui court toujours.