Durban avalise le réchauffement

La conférence mondiale n’a évité l’échec total qu’en s’engageant sur un possible accord… pour 2020. Le géopolitologue Emmanuel Guérin souligne toutefois l’influence grandissante des pays émergents.

Patrick Piro  • 15 décembre 2011 abonné·es

Au prix d’une prolongation historique de 36 heures, les délégués des quelque deux cents pays représentés à la conférence climatique de Durban (Afrique du Sud, 28 novembre-10 décembre) ont à peine sauvé les meubles après avoir frôlé le gouffre.

Les pays les moins avancés ont obtenu la prolongation après 2012 (et jusqu’en 2017) du protocole de Kyoto de réduction des émissions de gaz à effet de serre, seul instrument international contraignant, et qui concerne les pays industrialisés, pollueurs historiques. Mais, en l’absence du Canada, de la Russie et du Japon, ainsi que des États-Unis (sortis du protocole en 2001), les pays qui ont consenti à cette « avancée » (dont l’Union européenne) ne comptent plus que pour 15 % des émissions planétaires[^2].

En échange, Durban a accepté de travailler à l’élaboration « d’un protocole, un autre instrument légal ou une solution concertée ayant une force légale » , à signer en 2015. Il engagerait cette fois-ci – à partir de 2020 – l’ensemble de la communauté internationale. Mais rien n’est défini au-delà de cette formulation molle, dont les grands pays émergents (Chine, Inde, Brésil…), premiers concernés par cette « concession », ont soupesé la moindre virgule.

Car, in fine , la conférence a parlé de tout sauf de dérèglement climatique : les engagements de réduction adoptés par chaque pays dans son coin restent très insuffisants pour maintenir la dérive climatique à 2 °C d’augmentation, objectif pourtant adopté collectivement pour la première fois l’an dernier à la conférence climatique de Cancún (Mexique). Durban a donc avalisé en catimini la dissolution des ambitions de limitation du dérèglement.

Le volet « adaptation » ne se porte guère mieux : le fonds « vert » d’aide aux pays pauvres lancé à Cancún, et qui doit être abondé par les pays riches à partir de 2013 pour atteindre 100 milliards de dollars de dotation par an à partir de 2020, est toujours à la recherche d’une miraculeuse pompe à finances… Rendez-vous au Qatar en décembre 2012 pour la poursuite de la cacochyme diplomatie climatique planétaire.

Toutefois, si l’accord de Durban manque considérablement d’ambition, il contribue à inventer une nouvelle gouvernance mondiale où les pays émergents confortent leur place, estime Emmanuel Guérin, directeur des programmes sur le changement climatique à l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri). Explications.

L’accord de Durban n’est-il qu’un leurre pour maintenir l’espoir d’une lutte contre le dérèglement climatique ?

Emmanuel Guérin : Le climat dramatique des dernières heures explique le soulagement général d’être parvenu à sortir quelque chose de la conférence, alors que l’échec total se profilait. Donc, nous avons créé les conditions d’une poursuite de la diplomatie climatique dans le cadre des Nations unies, et ce n’est pas inutile.

Cependant, il règne une certaine hypocrisie derrière les congratulations : l’objectif de référence n’était pas « d’éviter l’échec » mais de contrecarrer le dérèglement climatique. Sur ce plan-là, les engagements de réduction des gaz à effet de serre, très insuffisants, n’ont pas bougé d’un iota, même dans la perspective de l’après-2020, horizon de l’éventuel « accord » international ! Personne ne peut faire mine d’ignorer le paysage alarmant que montrera le prochain rapport du Groupement d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec)[^3]…

Persiste-t-il encore une volonté commune ?

Les ambitions de parvenir à un accord sont en général sincères. Ainsi, l’Union européenne, pour une fois unie et déterminante dans le rôle de pilote, a pris le risque de remettre en question le fragile équilibre de la négociation lors de la dernière nuit, dans le but de relever l’ambition générale. Elle y est en partie parvenue.

De même, on constate que la recherche d’un consensus n’a pas pour moteur unique l’intérêt ­climatique général, mais aussi ­l’attente de retombées en politique intérieure. C’est notable dans le cas de la Chine : alors que l’équipe au pouvoir entend réformer le modèle économique ultra-exportateur du pays, pour favoriser la consommation interne et une baisse des besoins énergétiques, cet objectif est objectivement soutenu par les avancées de la bataille internationale contre le CO2.

Les grands pays émergents confirment-ils leur volonté de jouer un rôle de premier plan ?

Une évolution très nette est en cours. On peut dire que la ­gouvernance du XXIe siècle, qui se cherche, met à profit le terrain du climat, où les États-Unis n’apparaissent plus depuis des années que comme une force d’appoint passive, toute initiative de leur part étant bloquée par l’absence de consensus interne.

L’Union européenne reste très présente, et elle est parvenue à Durban à sceller une alliance avec les pays les moins avancés ainsi qu’avec le club des petits États insulaires.

Mais la bascule la plus significative est bien la montée en puissance des pays émergents, même si leurs positions ne sont pas homogènes. L’Inde, par exemple, revendique très fortement l’équité, jugeant inacceptable que les pays riches cherchent à imposer des engagements de réduction aux pays du Sud, qui n’ont qu’une responsabilité historique marginale dans le dérèglement.

La Chine, pour sa part, ne manque pas de renvoyer les pays occidentaux à leurs contradictions, alléguant qu’elle n’a pas de leçons à en recevoir alors qu’elle estime produire déjà plus ­d’efforts qu’eux.

Cependant, est-il concevable d’avancer, même lentement, sans les États-Unis ?

Les négociations sont indéniablement frustrantes, parce que ce pays, qui compte pour 24 % des émissions, contribue à les niveler vers le bas : la communauté internationale a donc besoin de son dynamisme.
Cependant, on perçoit également combien les discussions cristallisent les hésitations quant à la stratégie à adopter vis-à-vis des États-Unis. Ainsi, il existe un courant de réflexion, certes minoritaire mais influent, séduit par l’idée de construire la transition vers une économie décarbonée[^4], le grand pari du siècle, en se passant de l’impulsion des États-Unis, voire peut-être en se passant carrément de leur ­présence dans la coalition de départ.

[^2]: Quand le protocole est entré en vigueur, en 2005, les signataires comptaient pour plus de 55 % des émissions mondiales.

[^3]: Prévu pour 2013-2014.

[^4]: Raccourci popularisé pour décrire une économie débarrassée des hydrocarbures fossiles (pétrole, charbon, gaz naturel), qui émettent du CO2, dont l’atome de carbone (C) est à l’origine de l’effet de serre.

Écologie
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