EELV : stratégie d’équilibriste
Après qu’Eva Joly a critiqué l’accord passé avec le PS, le parti vert va devoir soutenir sa candidate sans mettre en péril son compromis législatif avec les socialistes. Pas gagné.
dans l’hebdo N° 1179 Acheter ce numéro
«Un incident de campagne comme il en arrive tant. Il a duré deux heures, mais enfin, maintenant, il faut que la parenthèse soit fermée. » Côté Parti socialiste (PS), Pierre Moscovici, directeur de campagne de François Hollande, a mis un point final à « l’affaire » Eva Joly. La semaine dernière, la candidate d’Europe Écologie-Les Verts (EELV) s’était octroyé quelques jours de silence médiatique, qui valaient clairement désapprobation de l’accord passé avec le PS. Lequel fait miroiter une trentaine de députés aux écologistes, mais ne stipule aucune sortie du nucléaire, revendication pourtant calée sur la stratégie établie par EELV depuis des mois, et prioritaire pour Eva Joly.
Cet accord, selon Jérôme Gleizes, soutien d’Eva Joly, représente une « rupture de communication, une déconnexion d’avec la base » . La candidature d’Eva Joly a été « instrumentalisée afin d’améliorer le rapport de force face aux socialistes » , estime un autre proche.
Mardi dernier, la candidate décidait cependant de reprendre du service et concoctait avec son entourage une réplique musclée à l’endroit du PS, mais aussi d’EELV. Par voie de médias, elle critiquait un accord « qui ne [la] fait pas rêver » , soupçonnant les socialistes d’être « du bois dont on fait les marionnettes [^2] ». Surtout, elle se refusait à dire si elle appellerait à voter pour le candidat PS au second tour de la présidentielle.
En désaccord, son porte-parole, Yannick Jadot, démissionne dans la foulée. « Je jugeais qu’Eva pourrait s’appuyer sur l’accord pour avancer dans un dialogue avec les Français. Le décalage devenait trop important. » Noël Mamère (proche d’Eva Joly également) et Daniel Cohn-Bendit s’émeuvent à leur tour : c’est le compromis péniblement arraché au PS qui est en péril. Les commentateurs se déchaînent. La palme du mépris revient au chroniqueur Nicolas Demorand [^3] : « Par amateurisme insondable, ayant déjà implosé, Eva Joly sème la zizanie avec légèreté et dogmatisme. »
« Nul n’ignorait l’intégrité morale d’Eva Joly et sa détermination à toute épreuve, défend un cadre écologiste proche de la candidate. Cette situation délicate n’est pas de son fait, elle reflète les contradictions internes d’un parti qui veut gagner du poids au sein des institutions – en négociant un compromis pour obtenir des députés – tout en revendiquant son ambition de “faire de la politique autrement” – en choisissant une candidate issue de la société civile, portant des engagements forts. »
Devant le mini-maelström politique qu’elle a déclenché, Eva Joly s’est rapidement ravisée : oui, elle soutiendra bien François Hollande s’il est qualifié à l’issue du premier tour. Elle a cependant montré qu’il faudra compter avec sa personnalité.
La candidate d’EELV devait finaliser certaines décisions à son retour de Mayotte et de La Réunion mardi soir, mais les principales lignes de campagne d’Eva Joly étaient déjà acquises : ouverture, parité, renouvellement, solidité. La direction reste aux mains de Sergio Coronado et de Stéphane Sitbon, bras droit de Cécile Duflot. Patrick Farbiaz sera conseiller politique. Des ténors entreront en lice : José Bové, Noël Mamère et Dominique Voynet, qui fait une réapparition remarquée. Jean-Vincent Placé, numéro deux du parti, sera également étroitement associé. La principale nouveauté concerne l’identification de responsables « thématiques », dont plusieurs noms inédits issus de la société civile. Notamment cités : Philippe Meirieu, Denis Baupin, Xavier Emmanuelli, Julien Bayou, Rokhaya Diallo, le général Bernard Norlain.
Eva Joly, pour sa part, assure n’avoir jamais envisagé un retrait. « Elle n’a aucun doute sur sa légitimité : la primaire qui l’a désignée a fait voter près de 35 000 personnes. C’est trois fois plus que le nombre de militants qui ont élu les instances du parti lors du congrès de La Rochelle début juin » , rappelle Sergio Coronado, codirecteur de sa campagne.
Réuni jeudi dernier en bureau exécutif élargi et en urgence, le parti lui a d’ailleurs réaffirmé son soutien. Pouvait-il en être autrement ? Même les ténors écologistes les moins convaincus par la candidate estiment que son abandon serait désastreux auprès des électeurs, alors que le parti clame depuis des mois qu’une candidature EELV est indispensable. Le maintien d’Eva Joly assure donc, a minima, un fond de cohérence à la stratégie écologiste face aux critiques qui entourent l’accord avec le PS.
Patrick Farbiaz, conseiller politique de la candidate, rappelle aussi qu’elle bénéficie d’un soutien « très fort de la base du parti » . En critiquant l’accord, elle traduirait l’opinion d’une bonne partie des militants. Selon un sondage publié lundi dernier [^5], alors que 61 % des personnes interrogées estiment qu’elle devrait se retirer de la course à l’Élysée, les deux tiers de ceux qui se déclarent sympathisants écologistes approuvaient au contraire ses critiques à l’endroit du PS. Eva Joly, garante du lien avec la base électorale d’EELV ?
Les écologistes défendent donc aujourd’hui une nouvelle ligne stratégique, bricolée à la hussarde. Le parti se montrera garant du compromis électoral qui lui promet des places de députés ; et la candidate peut se considérer comme non liée par cet accord législatif, libre de sa parole pour défendre les fondamentaux écologistes pourvu qu’elle y mette les formes vis-à-vis des socialistes.
Denis Baupin convient que cette configuration est « un peu compliquée et nouvelle » [^6], mais juge « qu’elle reste lisible pour les électeurs de gauche : ils peuvent voter Eva Joly sans péril au premier tour, puisqu’ils savent qu’elle soutiendra ensuite Hollande » .
Ce remodelage équilibriste peut-il tenir la distance ? Il ne convainc pas Daniel Cohn-Bendit, qui guette avec d’autres le mois de février pour poser à nouveau la question d’un retrait d’Eva Joly. Début 2011, il brandissait la menace de voir Marine Le Pen accéder au second tour de la présidentielle (le syndrome de 2002). Le risque semble s’estomper mais a été remplacé par la crainte de voir François Hollande devancé par Nicolas Sarkozy au premier tour, réduisant ses chances de l’emporter (le syndrome de 2007).
D’ici là, certains cadres redoutent le franc-parler d’Eva Joly, qui serait par trop novice dans l’arène d’une présidentielle toujours très éprouvante. « C’est entendu, Eva Joly n’utilise pas les “codes” traditionnels de ces joutes de campagne ; mais en quoi cela autorise-t-il à la prendre pour une bécassine en politique ? », s’élève Sergio Coronado.
Quoi qu’il en soit, Cécile Duflot, secrétaire nationale, a annoncé qu’il serait établi un « lien plus étroit » entre la direction du parti et l’équipe de campagne d’Eva Joly, dont la composition sera dévoilée jeudi 1er décembre. Des deux côtés, on jure qu’il ne s’agit pas d’une mise sous tutelle. Mais la mésaventure du candidat Alain Lipietz, en 2001, est dans tous les esprits : il avait prôné l’amnistie pour les nationalistes corses, en contradiction avec son parti. Désavoué, il avait renoncé, remplacé par Noël Mamère. Pour 2012, les écologistes n’ont aucune solution de remplacement.
Les prochains sondages sur les intentions des électeurs sont attendus avec une certaine impatience… À EELV, l’expectative a changé d’orientation : il ne s’agit plus de rêver d’un résultat « à deux chiffres » , mais de ne pas descendre au-dessous de 5 %, la moyenne des intentions en faveur d’Eva Joly depuis sa désignation en juillet dernier.
[^2]: En raison de leur décision de retirer (temporairement) le passage de l’accord PS-EELV concernant le combustible nucléaire MOX, à la demande de l’industriel Areva (voir Politis n° 1178).
[^3]: Libération, 24 novembre 2001.
[^4]: Entre autres, l’Autorité de sûreté nucléaire doit se prononcer en janvier sur l’avenir de la centrale de Fessenheim.
[^5]: BVA-20 Minutes.
[^6]: En 2002, un accord législatif PS-Verts était intervenu après la présidentielle ; et il avait capoté en 2007.