Immigration blues
Le chanteur d’origine kabyle Akli D sort un troisième album engagé aux influences folk.
dans l’hebdo N° 1179 Acheter ce numéro
Akli D. a sorti trois albums en douze ans, ce qui est peu. Le chanteur guitariste, joueur de banjo, n’a pas vraiment cherché à profiter du parrainage de Manu Chao, qui en 2006 avait produit le deuxième, Ma Yela, pour donner un essor plus commercial et médiatique à une carrière commencée sur le parvis de Beaubourg, là où Akli D. faisait la manche au début de son exil. Plutôt que d’enregistrer régulièrement et de se concentrer uniquement sur sa musique, il a préféré « être présent partout où il y avait urgence, quand des valeurs humaines étaient en jeu » .
Son histoire personnelle, celle d’un jeune Kabyle fuyant au début des années 1980 la répression du Printemps berbère, a été le point de départ d’un engagement constant et prenant. Depuis toujours, il enchaîne les concerts de soutien, pour la reconnaissance de l’identité amazigh, bien sûr, mais aussi en faveur des sans-papiers ou pour les libertés des femmes algériennes. Pourtant, aujourd’hui, il explique vouloir être « un peu moins en première ligne » , d’abord parce qu’il désire consacrer plus de temps à sa création, mais aussi parce qu’il doute désormais de l’utilité de certaines actions.
« Le mouvement berbère, je me demande s’il existe encore réellement , dit-il. Si l’on refait des manifestations à Paris, nous serons à peine deux mille, alors qu’il y a une dizaine d’années nous étions plus de soixante mille. En Kabylie, les étudiants ne nous suivraient même pas, car ils pensent avoir acquis quelque chose que nous n’avons en fait jamais obtenu. Mon pays, où je retourne souvent, est devenu une sorte de réserve indienne, où l’alcool, la débauche et la corruption ont anéanti l’esprit de révolte. »
Désenchanté par rapport à certains sujets, il n’en demeure pas moins combatif sur d’autres. Les chansons de son nouveau disque, Paris Hollywood, parlent, par exemple, beaucoup d’immigration. Sur fond de mélange de musiques traditionnelles du Maghreb et de folk blues à l’anglo-saxonne (il aime Neil Young et Bob Dylan), elles évoquent les espoirs déçus ( « Paris Hollywood/t’as fini dans un fast-food » ), les dramatiques traversées de la Méditerranée ( « La pirogue coule/au milieu des océans/Des appels au secours que personne n’entend » ) ou la perte d’identité. Même s’il ne veut plus être en première ligne, Akli D. continue de mettre en avant la parole de ceux que l’on n’écoute pas.