La France enferme toujours plus

Le rapport collectif de plusieurs associations fait état de l’aggravation des conditions d’enfermement dans les centres de rétention administrative, pour un nombre croissant d’étrangers.

Ingrid Merckx  • 22 décembre 2011 abonné·es

En métropole, 41 % des étrangers qui sont passés en 2010 par un centre de rétention administrative (CRA) ont finalement été expulsés. Cela signifie que 59 % des retenus ont échappé à une mesure d’éloignement (dont 29 % parce que leur placement était contraire au droit) et que leur enfermement était donc particulièrement abusif. Au-delà de la remise en cause des CRA, combat que poursuivent certaines associations, dont la Cimade, historiquement mandatée dans les centres, c’est la banalisation de la rétention que les défenseurs des migrants dénoncent aujourd’hui.
La politique du chiffre ou « l’obsession statistique » a plus que doublé le nombre de personnes placées en rétention depuis 2001. Cet afflux a pour conséquence la détérioration des conditions de vie matérielles dans les centres et le durcissement des procédures. Sur les 41 % d’expulsés en 2010, combien auraient obtenu le droit de rester en France s’ils avaient pu faire valoir leurs droits en temps et en heure ?

Depuis 2000, le nombre d’étrangers placés en rétention a plus que doublé. Entre 2005 et 2011, le nombre de places en CRA a augmenté de plus de 80 %. En 2010, plus de 60 000 personnes sont passées par un centre de rétention en métropole et en outre-mer. 178 familles ont été enfermées avec 356 enfants, dont 57 nourrissons, contre 318 en 2009.
Allongement de la durée maximum de rétention à quarante-cinq jours et report de l’intervention du juge des libertés : la loi Besson promulguée le 16 juin 2011 a encore alourdi l’examen des dossiers. « Elle confirme la banalisation de l’enfermement comme mode de gestion de l’éloignement », s’insurgent les cinq associations qui interviennent désormais dans les CRA : Affsam, Cimade, France Terre d’Asile, Forum réfugiés et Ordre de Malte. Les dégâts causés par cette loi devraient faire l’objet d’un rapport au printemps 2012. La conférence de presse collective qui s’est tenue le 13 décembre à Paris rendait compte du rapport 2010 sur les centres de rétention, travail qui fait figure de petite victoire de la société civile sur les politiques migratoires.

En 2009, le ministre de l’Immigration, Brice Hortefeux, jugeant la Cimade trop critique, ouvre à la concurrence la mission de celle-ci dans les CRA. Les cinq associations ayant remporté l’appel d’offres décident de travailler ensemble via un comité de pilotage. Il résulte de cette collaboration un nouveau rapport à charge sur les CRA, signé cette fois-ci d’un panel de défenseurs des migrants, tous déterminés à faire respecter la dignité de la personne et les droits humains en rétention, domaine « à la limite du droit » .

Dans le prolongement des précédents, ce rapport 2010 sur la rétention est alarmant : « On assiste au renforcement d’un régime d’exception » , prévient Jérôme Martinez, de la Cimade.

Criminalisation

« Les retenus n’ont commis ni crime ni délit ! », a rappelé Pierre Henry, de France terre d’asile. En 2009, 96 109 étrangers étaient interpellés pour infraction aux conditions d’entrée et de séjour (+ 49,7 % par rapport à 2004). Parmi eux, 74 050 ont été placés en garde à vue. « Les personnes rencontrées en rétention administrative expriment très fréquemment ne pas comprendre pourquoi elles sont “traitées comme des délinquants”. » 6,3 % des interpellations se sont produites à domicile, 56,9 % pendant un déplacement, 3 % au guichet de la préfecture. Si bien qu’ils sont nombreux à ne pas oser faire valoir leurs droits avant l’enfermement dans un centre, ce qui réduit les possibilités de recours.

En juillet 2011, une nouvelle mesure dite de bannissement, qui interdisait le retour des expulsés sur le territoire pendant cinq ans, même s’ils y ont des conjoints et des enfants, est entrée en vigueur.

Dom-Tom

Les statistiques officielles « oublient » souvent l’outre-mer. En 2010, plus de 35 000 éloignements ont été prononcés depuis ces territoires et 32 881 personnes y ont été placées en rétention. « Régime dérogatoire » , subodorent les cinq associations mandatées dans les CRA en métropole (mais aucune n’était financée en 2010 pour intervenir en outre-mer). Selon elles, la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane et Mayotte fonctionnent comme un miroir grossissant : les mesures d’éloignement y sont plus nombreuses et les conditions d’enfermement indignes.

Surnommé la « verrue de la République » , le CRA de Mayotte, d’une capacité de 60 places, héberge 140 personnes, ce qui réduit l’espace individuel à 1,47 m2 (contre 9 m2 en prison). Deux grandes salles non mixtes, sans mobilier ni matelas. Les retenus s’allongent à même des nattes, y compris les bébés.

Femmes et enfants

Nouveau record en 2010 avec 356 enfants enfermés en CRA, dont 16 % âgés de moins d’un an, sur un total de 178 familles. La durée moyenne de séjour les concernant a baissé de 5 jours à 2,7, mais c’est aussi le fait d’expulsions plus rapides.

À noter : trois fois plus de familles ont été expulsées au mois d’août que pendant le reste de l’année. Les familles en rétention en 2010 étaient en majorité de nationalité russe, kosovare, roumaine, arménienne, syrienne, géorgienne et serbe. Selon le code Ceseda sur l’entrée et le séjour des étrangers, les mineurs sont protégés contre les expulsions. Mais l’administration les enferme de façon à éloigner des familles entières, ce qui entre en contradiction avec les droits de l’enfant.

Suivi médical

En rétention, les conditions de vie matérielles sont comparables à celles d’une détention. Les nouveaux centres sont d’ailleurs construits sur un modèle carcéral. L’environnement est anxiogène : rondes de nuit, placement en isolement, menottage et contention pour les expulsions. L’incertitude sur la durée de la rétention complique la continuité des soins médicaux. Les restrictions budgétaires font apparaître des difficultés (plus de service médical continu à Bobigny, par exemple). Enfin, l’enfermement aggrave des pathologies existantes (troubles psychiatriques, addictions) et en fait naître de nouvelles, notamment tentatives de suicide et automutilations.


Légal ou pas ?

La France incarcère les sans-papiers depuis 1938, et la loi prévoit un an de prison et 3 750 euros
d’amende pour séjour irrégulier.

Près de 500 personnes sont condamnées en France tous les ans, dont 200 à de la prison ferme. Le
20 avril 2011, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) marque un coup d’arrêt à la pénalisation des étrangers en situation irrégulière : selon l’arrêt El Dridi, la peine de prison n’est plus autorisée pour un sans-papiers.
Le 3 mai, le ministre de l’Intérieur,
Claude Guéant, déclare que la France n’est pas concernée.

Mais le 6 décembre, « saisie sur
une affaire française, la CJUE estime qu’emprisonner un étranger pour situation irrégulière était contraire à la directive “retour” »
, annonce la Cimade. Ce qui invalide également le placement en garde à vue, qu’ont pourtant subi 74 000 personnes en 2010.

Société
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