La place des écolos en politique
Alors qu’EELV pourrait entrer en force à l’Assemblée nationale en 2012, plusieurs ouvrages interrogent les finalités politiques de l’écologie.
dans l’hebdo N° 1180 Acheter ce numéro
L’écologie politique veut changer le monde, mais elle n’est encore qu’une ado dans l’histoire des idées : une grosse génération à peine s’est écoulée depuis la première apparition électorale d’un écologiste – René Dumont, candidat à la présidentielle de 1974. Avec une question qui n’a pas perdu de sa pertinence en 2011 : « Faut-il écologiser la politique ou bien politiser l’écologie ? » Choisir d’implanter l’écologie dans l’ADN des partis (de gauche comme de droite) ou en faire un projet politique à part entière ?
Deux exemples récents illustrent cette alternative. D’abord, le trait tiré sur la politique par Nicolas Hulot, de retour fin novembre dans sa fondation après avoir brigué en vain l’investiture d’Europe Écologie-Les Verts (EELV) pour la présidentielle de 2012. Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l’Écologie et secrétaire général adjointe de l’UMP, livre sa lecture le 22 novembre, lors d’une convention de l’UMP : « C’est bon pour l’écologie, c’est bon qu’il reste là […]. Si les Verts n’en veulent pas, je crois que tous les Français en veulent ! » La place de l’écologiste le plus populaire du pays serait donc hors de l’arène politique.
Dans le même temps, EELV signe un accord électoral avec le PS pour les législatives de l’an prochain, quitte à saper la campagne de sa candidate Eva Joly : si la gauche l’emporte, EELV pourrait être la troisième force politique de l’Assemblée nationale avec une trentaine de députés. Une première, et un gain significatif d’influence politique pour l’écologie.
Alors que la crise écologique est désormais largement reconnue, la voie de l’écologisation de la politique a montré ses limites : l’écologie n’a jamais constitué qu’une excroissance mal assumée dans le corpus des partis traditionnels, la greffe « transgénique » n’a pas eu lieu. Les socialistes font toujours semblant, la droite lance un Grenelle sans les politiques et le piétine quelques mois plus tard, car « l’environnement, ça commence à bien faire » , explique Nicolas Sarkozy. Aussi, depuis trois ans, la France assiste à une politisation marquée de l’écologie : EELV a pris son essor (en 2008), rejoint par de nombreux acteurs dans l’espoir que la voie des urnes et l’exercice du pouvoir politique, du local au national, puissent enfin donner des résultats.
Trois ouvrages parus récemment, et dont les auteurs sont convaincus de la pertinence de cette poussée historique, passent donc à la question suivante : « Où vont les écologistes en politique, à quoi servent-ils ? » Fin observateur de la mouvance écologiste, le sociologue Erwan Lecœur situe son propos [^2] à la charnière du 13 novembre 2010, date de naissance officielle d’EELV : peut-être une étape décisive de la construction de l’écologie politique, marquée par des hauts et des bas continus, des intuitions fructueuses et des indécisions. Pourquoi cette trajectoire atypique, cette difficulté chronique à capitaliser dans les urnes la sympathie croissante de l’opinion pour les idées de l’écologie ? C’est, dit-il, parce qu’elle se refuse à adhérer aux schémas classiques qui structurent le débat politique en France, polarisé par l’affrontement gauche-droite. Du « ni-ni » du début des années 1990 d’un Antoine Waechter refusant toute alliance avec d’autres partis, on est passé à l’affirmation d’un « au-delà » plus mûri.
L’écologie, soutient Erwan Lecœur, s’affirme comme une pensée « de la rupture » , refusant d’être assujettie au diagramme politique bipolaire en vigueur. Le mouvement ouvrier, en son temps, n’avait-il pas été sommé de se définir par rapport aux monarchistes et aux républicains ?, rappelle Alain Lipietz, un des penseurs de l’écologie politique [^3].
Erwan Lecœur nourrit son propos de fragments d’entretiens réalisés avec José Bové, Cécile Duflot, Daniel Cohn-Bendit (EELV) et Corinne Lepage (CAP 21), acteurs aux parcours très divers, mais dont l’engagement soutient une vision de l’écologie comme « politique de civilisation » dont le siècle serait arrivé.
C’est aussi le sentiment de Denis Baupin, maire adjoint de Paris et cadre d’EELV. Il publie un ouvrage de réflexions personnelles [^4] sur la démission des politiques face à la crise planétaire et le rôle des écologistes pour en sortir. Son point de départ : l’échec de la mégaconférence sur le climat de Copenhague, fin 2009 (l’auteur n’aura pas une ligne à retrancher quand celle de Durban sera conclue vendredi 9 décembre) : les chefs d’État coincent parce qu’aucun n’a le courage de renoncer au modèle économique libéral planétaire, le véritable fauteur de troubles. C’est « croissance et compétition » plutôt que « partage et solidarité » – et la gauche est mise dans le panier. « Dans la chaîne qui va du diagnostic à la solution, les politiques constituent le maillon faible » , soumis aux lobbies, manquant de vision.
Denis Baupin avance l’idée que « l’homo ecologicus » est un politique mieux équipé que les autres dans cette époque si particulière, parce qu’il est mu par une conviction à large champ philosophique, géographique et temporel (la vie sur l’ensemble de la planète et pour les générations futures), et par la nécessité impérieuse d’agir : le temps qui passe sans rien faire aggrave la crise. Vision et pragmatisme, donc : voilà quelle serait la valeur ajoutée des écologistes en politique.
Valorisant discrètement son bilan et postulant à une circonscription législative gagnable en 2012, Denis Baupin déroule ses convictions en forme de programme : mutation industrielle et énergétique, révolution vers une économie durable, promotion d’un humanisme dépouillé de la surconsommation, vision planétaire de la solidarité et de la justice, stratégie de transition pour la société… Il y faudra du « courage »… et des discours moins anxiogènes, reconnaît l’auteur, car ceux-ci sont en partie responsables d’une séduction limitée de l’écologie politique sur l’électorat.
Wilfrid Séjeau et son complice Erwan Lecœur ne le contrediraient pas, eux qui se sont essayés à une pédagogie accessible en prenant au mot la politologie de comptoir qui accable les écolos « dans les dîners du samedi soir [^5] » : « L’écologie, ça ne devrait pas être de la politique » ; « En fait, vous êtes de gauche… » ; « Vous n’avez pas de programme économique et social, vous n’êtes pas crédibles » ; « Ça ne sert à rien de voter pour vous, vous ne serez jamais au pouvoir » … Les réponses sont détendues, voire défoulées, mais tout à fait solides. Ça tient dans la poche, pour réviser en cuisine avant l’apothéose lâchée au dessert par la tête à claques de service : « De toute façon, tout ça c’est de la connerie ! »
[^2]: Des écologistes en politique, Lignes de repère, 225 p., 18 euros.
[^3]: (2) Notamment Qu’est-ce que l’écologie politique ?, La Découverte, 1999.
[^4]: La planète brûle, où sont les politiques ?, Hoëbeke, 300 p., 19,50 euros.
[^5]: Petit Bréviaire écolo, Les Petits matins, 160 p., 6 euros.