L’autopsie prouvera que j’avais raison !

Émile Kusturica  • 8 décembre 2011 abonné·es

C’est l’histoire d’un mec. Y bosse. Mais pas n’importe où. Dans une mairie. Et pas n’importe laquelle. Une mairie communiste. Là où, a priori, l’homme est au cœur du système et non l’inverse. Pas con, le mec ! Quoique… Contacté à l’été pour un CDD d’un an au service communication, il est recruté quelques mois plus tard en qualité de vacataire, entendez par là avec un salaire a minima. Car, avant d’obtenir son CDD, il se doit de justifier de tout, le mec, s’il veut embarquer pour un an dans le grand vaisseau de la collectivité territoriale. Activité militaire, casier judiciaire, bulletins de salaires des dix dernières années, certificats de travail en correspondance, attestation du conjoint certifiant qu’il ne bénéficie de rien, examen médical (négocié sans toucher rectal)…

De vacations mensuelles en marchandages salariaux, un an plus tard, réactivité oblige, il est embauché pour douze mois au service communication. Satisfait mais méfiant, le mec. Dans le même temps, pour fêter ça, son toubib lui diagnostique un diabète. Du type 1, insulino-dépendant. « Sans doute une situation nouvelle, personnelle ou professionnelle, qui engendre un certain stress et qui pourrait être le facteur déclenchant » , qu’il ajoute, le sachant. Bien vu toubib !

Pas grave, c’est pas douze piqûres quotidiennes qui vont l’empêcher de bosser, le mec. Il défend alors dans le magazine de la ville les valeurs d’humanité prônées par la municipalité communiste, quasi persuadé de voter Mélenchon, tellement porté par le discours volontariste, démocratique, ouvert, humain qui lui correspond tant. Des valeurs auxquelles il adhère depuis son adolescence et ses premiers tags « Anarchie vaincra » portés sur le fronton des mairies de droite.
Et il se bat, le mec. Parce que trouver un interlocuteur – et qui plus est compétent dans la jungle d’un organigramme digne de l’armée mexicaine – afin d’alimenter ses articles ou simplement s’informer sur ses droits ou son statut se révèle être un combat, une gageure, que dis-je : un interdit.
Entre inertie, incompétence, routine, absences, manque d’implication, il se sent un peu seul, le mec. En septembre, le cœur lâche. La loi des séries, comme y disent à TF1. Début d’infarctus, pompiers, hôpital, coronarographie, pontage, centre de réadaptation, arrêt de travail. Et là, ça se gâte. La direction des ressources humaines lui notifie son passage à demi-traitement. Pas de feignasse chez nous ! Sa convalescence, il la fera à la mairie, sinon il mangera des cailloux. Mais le cardiologue lui interdit tout déplacement pendant quelques jours. Le temps de la cicatrisation.

Le mec propose de poser ses RTT. Niet ! Son arrêt de travail a modifié la donne administrative, et il ne peut plus bénéficier de ses jours de congés. Pas de bras, pas de chocolat. Il demande alors un aménagement de ses horaires, voire la possibilité de bosser de chez lui, il a un téléphone, un ordinateur, un cerveau et plein de bonne volonté, le mec. Il suggère à sa hiérarchie d’en référer au maire et à la direction des ressources humaines pour trouver une solution de quelques jours, gage d’une convalescence indispensable et garantie d’une survie revendiquée. Réponse du chef de service : « Il y a des gens qui bossent avec un cancer et qui n’en font pas toute une histoire. » Le Grand Schtroumpf lui reproche aussi de n’avoir été hospitalisé que 25 jours sur les 35 au total couvrant son arrêt de travail, d’avoir le teint frais et de porter le costume. Des arguments qui devancent même le discours sarkozyste sur la fraude aux arrêts-maladie. Et on lui crie dessus, on fait valoir le lien de subordination, allant jusqu’à l’expulser de son bureau manu militari. Bon esprit ! Il attendra cinq heures dans la rue un rendez-vous avec sa hiérarchie pour obtenir des explications.

Indigné (comme tant d’autres), le mec évoque la possibilité de contacter des confrères de rédactions amies afin d’exposer l’iniquité de la situation. « Qui tu veux, on s’en fout, vois avec Le Monde diplomatique, ça peut marcher… » , lui rétorque le nervi hilare qui, on en conviendra, ne manque ni d’humour ni de culture journalistique. Au sortir de la confrontation, sans avoir pu être entendu par le service du personnel ou l’édile, il sera suspendu pour « menaces et intimidation physique auprès de son chef de service » ! Plutôt valorisant pour un cardiaque sorti de l’hôpital il y a moins de dix jours… La lutte finale en quelque sorte et un traitement, si j’ose dire, qu’il n’aurait jamais envisagé, surtout de la part d’une mairie de gauche.

Alors, le mec vous salue bien haut chers camarades, de tout son cœur et de son lit, et vous délivre son message que n’aurait pas renié Maurice Thorez du fond de son fauteuil d’hémiplégique : « À quoi ça sert de canarder les papillons avec l’artillerie lourde ? »

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