Le vinyle fait son come-back

Les 33 et 45 tours
deviennent la meilleure arme
des indépendants
pour combattre la crise du disque.

Éric Tandy  • 15 décembre 2011 abonné·es

En France, ils étaient près de 3 000 au début des années 1980, ils ne sont plus aujourd’hui que 200 environ. Pourtant, les disquaires indépendants ne baissent pas les bras. Leur faible marge commerciale (avec une TVA à 19,6 %) les maintient à un stade artisanal, mais ils survivent avec ténacité à la crise du disque qui, depuis 2002, fait chuter annuellement les ventes d’albums de 15 à 20 %.

Laissés de côté par les majors du secteur, dont le lobbying a obtenu la non-application au disque (contrairement au livre) du prix unique de la loi Lang, et les multinationales comme Polygram (devenue depuis Universal), qui préfèrent traiter avec la grande distribution plutôt que sauvegarder le réseau des petites boutiques, les magasins spécialisés, rock, jazz, électro ou reggae, ont quand même réussi à attirer de nouveaux amateurs de musique.

Jean-Christophe Fillon, l’un des deux fondateurs du magasin Mélomane à Nantes, où tous les genres sont représentés, témoigne de cette évolution : « Quand on a ouvert, en 2005, notre clientèle était surtout composée de trentenaires et de quadras, et puis, peu à peu, elle s’est considérablement rajeunie et s’est étoffée. »

Cet attrait des plus jeunes pour les petits points de vente, Christophe Ouali, qui anime depuis plus de vingt ans le Silence de la rue, dans le XIe arrondissement de Paris, le constate également. « Durant les trois dernières années, on a vu venir vers nous des gens ayant entre 15 et 20 ans qui se sont mis à acheter des 33 tours, souvent de grands classiques du rock, du jazz ou du blues. Une partie de leurs choix a été guidée par les goûts d’un papa ou d’un tonton averti ! »

Le vinyle neuf – en opposition au vinyle d’occasion vendu dans des boutiques fréquentées par les collectionneurs – apparaît comme la meilleure arme des disquaires indépendants pour combattre la crise. On vient chez eux parce qu’on est certain d’y trouver de vieux albums réédités à l’identique, mais aussi – ou surtout, pour une partie des acheteurs – parce que leurs bacs sont remplis de nouveautés sorties à la fois en CD et en 30 cm.

Les chaînes culturelles, qui réduisent pourtant considérablement les surfaces consacrées à la musique enregistrée, et certains centres commerciaux proposent aussi désormais quelques références vinyles, beaucoup moins que les indépendants, et des platines disque pour les passer  : preuve que le phénomène n’est plus tout à fait marginal.

L’explication de ce regain d’intérêt pour le 33t et pour le 45t (format très prisé par les fans de rock « garage ») est donnée par David Godevais, qui, au sein du Club action des labels indépendants (le Calif), aide à l’implantation de nouveaux magasins de disques en négociant pour eux, par exemple, des remises avec des labels ou des distributeurs indépendants, comme Harmonia Mundi ou Naïve : « Ce retour au vinyle, c’est un retour vers des conditions d’écoute optimales. Le son numérique, qui se télécharge, est aujourd’hui tellement compressé qu’une partie de ce qui a été enregistré au départ par un musicien n’est plus audible, des fréquences ont disparu. Alors, forcément, ceux qui aiment vraiment la musique ne s’en satisfont pas… » « En adoptant le vinyle, poursuit-il, le public se réapproprie la musique et ne joue plus le jeu de l’industrie musicale, qui voudrait dicter tous les choix de consommation et continuer de vendre de la culture comme on vend de la savonnette. »

Jean-Christophe Fillon ne veut pas, pour sa part, opposer vinyle et téléchargement, car il pense que les deux sont devenus complémentaires : « Les 20-25 ans ont acquis de très bonnes connaissances musicales avec le téléchargement, qu’ils ont abondamment pratiqué quand ils étaient plus jeunes, puis ils se sont rendu compte qu’ils ne pouvaient rien conserver de ce qu’ils avaient stocké. C’est pour cela qu’ils achètent maintenant les disques qui leur plaisent et ceux des artistes qu’ils souhaitent soutenir. Les majors sont victimes du téléchargement, les indépendants, beaucoup moins. »

Les ventes de vinyles représentent actuellement environ 10 % du chiffre d’affaires total de la musique en France, ce qui, même en temps de crise du disque, est loin d’être négligeable. Le pourcentage est bien sûr plus élevé chez certains disquaires indépendants, comme Mélomane, dont les rayons sont garnis de 70 % de disques vinyles et de 30 % de CD. Une proportion qui est la même à Ground Zero, haut lieu parisien du rock indie, alors qu’il vendait surtout des CD il y a seulement deux ans.

Les disquaires indépendants d’aujourd’hui se porteraient-ils donc mieux que ceux de la deuxième partie des années 1980, époque où les Fnac s’installaient en province et tuaient, avec leur puissance de communication et leur politique des prix un peu plus bas (le fameux – 20% sur les nouveautés), la plupart des boutiques des centres-villes ? Les choses ne sont pas si simples, comme on l’explique au Calif, qui organise au niveau national le Disquaire Day, journée où des vinyles en tirages limités sont vendus dans tout le réseau indépendant. « Cinq à dix nouvelles boutiques ouvrent en France chaque année , constate David Godevais. Mais 30 % d’entre elles ne dépassent pas les trois ans d’existence. »

Une fragilité soulignée par Jean Colomina, qui se présente comme « artisan disquaire indépendant » et tente de maintenir à flot Musiques-Arles, magasin généraliste (mais qui ne vend pas de vinyles, « plutôt destinés aux grandes villes   », pense-t-il) et librairie : « Ces trois dernières années, notre chiffre d’affaires CD a diminué de 10 à 15 % ; au cours des précédentes, on perdait 2 à 3 %. On a donc d’abord pensé arrêter de vendre du disque… » Mais, pour que le rayon continue d’exister, ce disquaire militant, qui cherche à mettre en avant les autoproductions locales (sur lesquelles il appose un label « musique équitable » ), a imaginé un système de préengagement mensuel d’achats, aux montants divers, calqué sur celui des Amap. Deux cents personnes ont déjà répondu à son appel, il lui en faudrait cinq cents pour que l’expérience soit viable et qu’une certaine conception de la diffusion musicale ne disparaisse pas de sa région…

Musique
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