Seine-Normandie, nouveau front de l’eau

Par une manœuvre juridique, André Santini a ravi la présidence du Comité de bassin Seine-Normandie à Anne Le Strat, plus que jamais sa principale rivale en matière de politique régionale de l’eau.

Patrick Piro  • 22 décembre 2011 abonné·es

Deux mois à peine après avoir été portée à la présidence du Comité de bassin de l’Agence de l’eau Seine-Normandie, Anne Le Strat a perdu son mandat. Son élection a été cassée par le tribunal administratif de Cergy avec une célérité pour le moins étonnante, au profit du président sortant, André Santini.

Derrière un imbroglio juridique, il s’agit d’une affaire éminemment politique. Un face-à-face entre la présidente (apparentée PS) d’Eau de Paris, structure créée à la suite du retour dans le giron municipal, depuis 2010, des services de l’eau de la capitale, et l’indéboulonnable baron de l’eau en Île-de-France, homme lige (Nouveau Centre) de la gestion privée, qui a œuvré à la reconduction très contestée, en 2010, de l’énorme contrat de Veolia pour la distribution de l’eau du Syndicat des eaux d’Île-de-France (Sedif)[^2], un organisme dont il a décroché à grand-peine une ­nouvelle présidence en 2008.

Le 29 septembre, Anne Le Strat est élue présidente du Comité de bassin Seine-Normandie. Elle est parvenue à éroder les positions de son adversaire, dont elle dénonce la gestion opaque. Un premier tour de scrutin, où votent 142 représentants, lui donne 70 voix contre 71 à André Santini (et un vote blanc). Au second tour, elle obtient une majorité inattendue de 73 voix contre 69.

Aucune contestation n’est émise, mais le battu saisit néanmoins le tribunal administratif, qui l’a déclaré vainqueur au premier tour. Techniquement, l’exégèse des textes par le Conseil d’État donne raison au protestataire. Mais, dans la pratique, l’Agence applique la règle de «  la majorité plus une voix » pour l’emporter – soit 72 voix, il en manquait donc une pour faire la décision.

La délibération du tribunal se singularise pour deux raisons. Tout d’abord, un recours similaire à celui d’André Santini, il y a une vingtaine d’années, avait été rejeté, donnant raison à la pratique adoptée par l’Agence. Mais, surtout, la plainte a été traitée avec une célérité qui ferait honneur à la justice française si elle n’était pas aussi suspecte. Il ne s’agissait même pas d’un référé, ce qui laissait entrevoir que l’instruction n’aboutirait pas avant un an et demi, délai classique.

La délibération – un record ? – a été prise très opportunément six jours à peine après l’audience, le 30 novembre au soir, la veille de la première réunion du Comité sous présidence d’Anne Le Strat. « Un vrai scandale » , a-t-elle dénoncé, une manœuvre qu’elle juge signée Paul-Louis Girardot, président du conseil de surveillance de Veolia eau, vice-président du Comité de bassin lors de la mandature précédente et complice de Santini.

Confusion aidant, la réunion du 1er décembre a été ajournée. Un recours est à l’étude, mais il a peu de chance de bénéficier du même coup d’accélérateur que celui d’André Santini. Anne Le Strat compte désormais sur une riposte politique, alors que le Comité apparaît comme ingouvernable, et que la légitimité du président est contestée jusque dans ses rangs. La semaine dernière, plus de 70 membres du Comité de bassin (une majorité) avaient voté un « appel à André Santini » afin qu’il consente à de nouvelles élections clarificatrices. Les présidents (tous de gauche) des sept Régions traversées par le bassin Seine-Normandie – Bourgogne, Champagne-Ardennes, Île-de-France, Picardie, Haute-Normandie, Basse-Normandie –ont appuyé la démarche. En vain jusqu’à présent.

La première réunion du Comité a finalement été fixée au 5 janvier prochain. Elle devrait être houleuse et confirmer la politisation de cette instance, qui fixe les orientations et décide du financement des programmes de la plus importante agence de l’eau française. Elle intervient dans 25 départements, concerne 18 millions d’habitants et gère un budget annuel d’un milliard d’euros.

Anne Le Strat avait promis, lors de sa campagne pour la présidence, « une meilleure gouvernance démocratique du comité de bassin », pour que l’agence devienne « un lieu de cohérence territoriale » , en faisant cesser « l’opposition qui règne entre le monde de la ressource en eau et celui de la politique agricole, de la gestion des sols ».

[^2]:  C’est le plus gros contrat du genre en France, pour le service de 142 communes.

Écologie
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