Varda, liberté optique

Dans  Agnès de-ci de-là Varda, série de cinq documentaires, on suit la réalisatrice dans un joyeux road-movie.

Jean-Claude Renard  • 15 décembre 2011 abonné·es

Ça commence par une virée à Berlin, puis saute aussi sec dans le bazar de l’atelier de Chris Marker. La caméra vient, va, vogue, accoste sur les cosmogonies d’un « grand pourvoyeur d’informations latérales » . Marker ne se laisse pas filmer, « poussant la discrétion jusqu’au secret » , mais invite Agnès Varda à l’accompagner dans Second Life. Là où s’agite son imagination, riche d’images animées, peuplée de chats, d’espiègleries, de petits trucs sans sérieux.

Et de filer à Nantes, qui célèbre les vingt ans de la mort de Jacques Demy et les cinquante ans de Lola (1961). La virée nantaise est l’occasion de s’entretenir au Lieu unique avec Pierrick Sorin, pirouettant sur un 33 tours, confiant aimer « faire le mariole, mais le mariole un peu dépressif » .
Lisbonne est un autre point de chute, en compagnie de Manoel de Oliveira. Le cinéaste portugais a beau avoir 103 ans, ça ne l’empêche pas d’esquisser, au débotté de la conversation, un duel au fleuret du bout de sa canne, ni d’imiter trois pas de Charlot, ni de chiper la caméra pour finalement livrer des images de Varda qui se révéleront totalement floues et embrumées.

De son appartement parisien à Nantes, de Bruxelles à Rio, de Venise à Boston, jusqu’au festival de Guadalajara au Mexique… Il faut croire qu’Agnès Varda ne tient pas en place. Ces trois dernières années, véritable nomade, saisissant les occasions, les créant même, elle a pointé sa petite caméra sur ses différentes rencontres, sur des artistes célèbres (Pierre Soulages, Miquel Barceló, Annette Messager), d’autres moins (tels monsieur Bouton de Lyon, Cecilia Mangini ou Kikie Crèvecœur), sur des artisans du quotidien, composant ainsi, à travers une série documentaire en cinq volets, une œuvre à son image. Fraîche et pétillante. Filmant partout, obstinément, la vie et l’art contemporain, interrogeant ses sujets, jouant avec eux au gré des humeurs déambulatoires.

« Ce sont des chroniques de voyage, avec mes curiosités personnelles que je voulais partager, observe la réalisatrice. Mais il n’y a pas de prétention, ni ambition à vouloir faire croire que. Il y a le désir de donner une forme, la mieux montée, avec de petites acrobaties pour passer d’un sujet à l’autre, entre le jeu de mots et le jeu d’images. Dans certains de mes films, comme les Glaneurs, il existe une vraie adhésion au réel, avec beaucoup de gravité. Là, j’ai choisi la légèreté, en me confrontant aux artistes qui, pour beaucoup, sont des rêveurs. Et, en même temps, j’avais envie de glisser mes questionnements, comme le mouvement, l’instant décisif en photographie, comme disait Cartier-Bresson, le comportement des visiteurs dans une exposition, la voltige des trapézistes, qui sont comme des poissons volants, la symbolique de l’Annonciation. »

L’ensemble s’avance tel un marabout-de-ficelle poétique. « C’est toujours ce que j’ai fait, admet Agnès Varda. Je crois que, dans l’utilisation des accroches et des soi-disant “par hasard”, se crée un sens. Ce n’est pas à moi de le donner mais au spectateur. Cela reste avant tout léger, et j’espère que ce sera pris comme tel. C’est un feuilleton de feuilles, d’où cette introduction à chaque épisode, avec cet arbre dans ma cour et ses feuilles qui poussent plus vite que nous. C’est comme ça, je filme. En sachant que filmer, c’est être frustré tout le temps. »

Ajoutant digression sur digression, des cartes postales et des images à la volée, multipliant des fragments de vie, passant du coq à l’âne, Agnès Varda propose sa vision du cinéma. Quelque chose qui ressemble à une furieuse et stimulante liberté. Où tous les coups jolis sont permis. Entre fiction et réalité, naviguant « entre ce qui est vrai et ce que j’imagine, avec les illusions d’optique que cela suppose » . À l’instar de cette adaptation d’une photographie en noir et blanc prise en 1956, sur une terrasse sétoise, et remise en scène aujourd’hui, avec son même plan, mais animé, avec ses personnages, son décor, sa lumière, et l’étendue de ses possibles.

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