À contre-courant / Occupy Frankfurt !
dans l’hebdo N° 1187 Acheter ce numéro
Il faut que la Banque centrale européenne puisse financer directement les États européens. Si l’on met de côté la droite allemande, voici qu’une unanimité quasi totale s’est faite en Europe autour de cette idée. C’est un pas en avant non négligeable. Certes, le gouvernement allemand ne veut officiellement pas en entendre parler. Mais Mario Draghi, le nouveau président de la BCE, en offrant aux banques 500 milliards d’euros de prêts à 3 ans à prix d’ami (un taux d’intérêt de 1 %), leur a donné de quoi souscrire aux emprunts de l’Italie (à 5 %), de l’Espagne (à 5 %), de la France (à 3 %)… en empochant au passage la différence. Merci pour leurs actionnaires. À moyen terme, la position allemande est intenable. Faire semblant de ne pas voir cette monétisation hypocrite qui, dans le même temps, engraisse les banques ne va pas être possible très longtemps. Mais surtout, la récession dans laquelle s’enfonce l’Europe va finir par obliger la BCE à des injections encore plus massives et probablement plus directes de liquidités.
En effet, les déficits budgétaires vont continuer à s’aggraver malgré – ou à cause – des politiques d’austérité, comme en Grèce. La crise bancaire, momentanément soulagée par la BCE, va reprendre de plus belle, car les spéculateurs et les acteurs financiers (dont les banques elles-mêmes) vont douter de plus en plus de la solidité des banques européennes, qui détiennent beaucoup d’obligations d’États endettés. Si cette crise bancaire se déclenche – ce qui semble hautement probable –, la BCE n’aura aucun autre choix que de sauver les banques par l’émission massive d’euros, et la droite allemande ne pourra que se taire. Pour autant, rien ne sera résolu. Les banques seront provisoirement sauvées, elles pourront continuer à financer les déficits des États. Mais ceux-ci perdureront, comme la récession.
Car la racine de la crise européenne n’est pas principalement dans l’interdiction du financement direct des États par la BCE. Elle est bien plus dans la mise en concurrence fiscale, sociale, financière, réglementaire, écologique des pays européens entre eux et avec le reste du monde. C’est cette concurrence à outrance – fondée sur la libre circulation des capitaux et des marchandises – qui a provoqué l’accroissement des inégalités, de la précarité, de l’endettement, des dégâts environnementaux, et qui nous enfonce dans la dépression.
On ne peut sortir de la crise européenne avec l’actuel Traité. Il est vrai qu’il laisse des marges pour une monétisation hypocrite des déficits. Mais là n’est pas le nœud du problème : c’est une autre logique, de maîtrise des flux financiers et commerciaux, de coopération fiscale, de redistribution des richesses et de construction d’un vrai budget européen, qui seule peut tirer l’Europe et l’euro du gouffre où ils s’enfoncent. Et ça, la droite allemande n’est pas seule à le refuser : pour l’instant, aucun des partis dits « de gouvernement » n’en veut, que ce soit en France ou en Europe.
Les partis d’extrême droite se tiennent prêts à capitaliser la colère populaire contre l’austérité sans fin. À moins que les mouvements citoyens ne réussissent à créer une dynamique alternative, à l’image d’Occupy Wall Street, qui en trois mois a transformé la donne politique aux États-Unis et a éclipsé le Tea Party.