Avec Domota, trois ans après
Qui ne connaît pas monsieur Domota ? , titrait un ouvrage se penchant sur la problématique antillaise au lendemain des événements de l’hiver 2009 (Desnel éd.).
dans l’hebdo N° 1184 Acheter ce numéro
Qui ne connaît pas monsieur Domota ? , titrait un ouvrage se penchant sur la problématique antillaise au lendemain des événements de l’hiver 2009 (Desnel éd.). À parcourir les rues de Pointe-à-Pitre ou de Basse-Terre (capitale économique et administrative de la Guadeloupe) en présence de l’intéressé, la réponse est évidente. Personne n’ignore qui est Élie Domota. Le porte-parole du Liyannaj Kont Pwofitasyon (LKP, Collectif contre l’exploitation outrancière) et secrétaire général de l’Union générale des travailleurs guadeloupéens (UGTG) fait figure d’idole locale. Les automobilistes qui l’aperçoivent sur le bord de la route le klaxonnent, les passants le saluent, l’encouragent, le félicitent comme s’ils le connaissaient depuis toujours. Quand on l’interroge sur cette popularité, Domota plaisante : « Ce n’est pas pour vous qu’ils s’arrêtent ? » Trois ans après la grève générale et les manifestations géantes qui se sont emparées de la Guadeloupe en janvier et en février 2009, celui qui incarna le ras-le-bol des Guadeloupéens est toujours aussi célèbre. Avec Élie Domota, retour sur les lieux d’un conflit historique.
Palais de la Mutualité, dans un des nombreux quartiers populaires de Pointe-à-Pitre, face au bik (siège) de l’UGTG. Quelques heures avant la reprise des rencontres publiques hebdomadaires que le LKP mène depuis 2009 à travers la région, Domota s’assoit sur les marches de l’édifice : « Le palais de la Mutualité a été construit par des travailleurs guadeloupéens. Durant quarante ans, ils se sont cotisés, ont donné de leur temps de travail et de leur savoir-faire pour sortir de terre ce lieu de rencontres et de fêtes, fruit de la culture mutuelle guadeloupéenne. »
Cadenassé en 2005 après que l’Europe eut modifié les codes de la mutualité, le palais a été « repris » par les syndicats le 21 octobre de cette même année. « On ne voulait pas laisser le palais aux mains des spéculateurs et des squatters. Et on n’a pas choisi cette date au hasard. » En effet, le 21 octobre 1801, était instauré sur l’île un gouvernement provisoire qui rompait avec la France, sept ans après la première abolition de l’esclavage. « C’est également ici que l’on a donné rendez-vous aux Guadeloupéens le 20 janvier 2009 », premier jour de ces manifestations qui allaient durer un mois et demi.
À Basse-Terre, sa ville d’origine, quelques jours plus tard. Élie Domota est face à la préfecture : « Le 16 décembre 2008, l’UGTG luttait depuis plus d’un mois contre la suppression de postes dans les stations-service. Nous avons décidé de faire le tour de Pointe-à-Pitre tant que nous n’aurions pas été reçus par le sous-préfet. Face à son mépris affiché, nous avons décidé de nous rendre ici, le lendemain, pour rencontrer le préfet. » Retenu au Noël de la préfecture, ce dernier leur envoie un de ses conseillers, pour les rencontrer à l’arrière du bâtiment ! « Il avait peur qu’on effraie les enfants… alors que des gendarmes armés étaient déployés dans les jardins ! »
Si le porte-parole du LKP a choisi ce lieu pour évoquer janvier 2009, c’est aussi parce que s’y tenaient les négociations avec Yves Jégo, ministre de l’Outre-Mer, et avec le Medef. La nuit du 7 au 8 février 2009, après quinze jours de manifestations intensives dans l’île, le représentant du gouvernement réunit les protagonistes à la préfecture et annonce qu’ils n’en sortiront pas sans un accord. Ils se quittent au petit matin avec la promesse de se retrouver à 16 heures pour signer le protocole. « L’après-midi, dans le minibus qui nous ramenait vers Basse-Terre, je reçois un coup de fil , raconte le porte-parole du LKP. “Jégo est reparti.” Les RG confirment. Sur place, le sous-préfet nous reçoit, tremblant, et nous dit que Jégo a été rappelé par Matignon. Il n’en sait pas plus. » Pour Domota, le fait que le ministre ait pris le temps de comprendre l’île en y séjournant une dizaine de jours, puis qu’il reproche aux Blancs-pays « leur attitude méprisante et coloniale » , a joué en sa défaveur : « Il s’est fait rappeler à l’ordre. »
Retour à Pointe-à-Pitre pour évoquer l’événement tragique des manifestations de 2009. La mort par balle d’un militant du LKP, Jacques Bino, assassiné au volant de sa voiture alors qu’il rentrait d’un meeting à la Mutualité.
C’est au pied des immeubles de la peu riante cité Henri-IV, rue Youri-Gagarine, que Domota a donné rendez-vous à Frédéric Gircour pour relater les faits. Lui, un « métro », a tenu un blog durant les quarante-quatre jours de grève. Il a beaucoup enquêté sur le drame. Sa version, à laquelle adhère Domota, est bien éloignée de la version officielle, qui doit conduire un homme devant la justice courant 2012, et selon laquelle un jeune aurait tiré depuis la barricade face à laquelle Bino faisait demi-tour. Selon Domota et Gircour, la police a inventé un bouc émissaire. « Ils ont choisi un coupable et ont tout fait pour l’accuser » , affirme le porte-parole du LKP. Gircour précise qu’il « faisait nuit noire car les lampadaires ne fonctionnaient pas. Le coup a été tiré à 80 mètres et a fait mouche… Les témoignages sur place parlent d’un homme vêtu de noir et encagoulé. » Domota enfonce le clou : « Quelques jours avant l’assassinat, j’ai reçu un coup de fil des RG. Ils m’ont dit que des commandos de Saint-Lucien avaient pour cible des militants du LKP… »
Après la mort de Bino, les manifestants sont venus se recueillir place de la Victoire. Cette place, qui doit son nom aux années d’indépendance, est marquée par l’histoire de la répression, explique l’historien Raymond Gama : « En 1967, c’est ici que des négociations avec le patronat ont fini en massacre. » « Et c’est sur cette place que se terminaient les manifestations de 2009 » , poursuit Domota.
De ce conflit mémorable, la Guadeloupe retire des avancées sociales importantes (augmentation des salaires, baisse des prix du carburant…), mais, trois ans après, la pression judiciaire est toujours forte sur les militants : « L’État n’a pas digéré ces quarante-quatre jours de révolution culturelle » , analyse Charly Lendo (UGTG-LKP), poursuivi pour la mort d’un motard ayant percuté un barrage routier. « Les condamnations ici sont politiques. La justice est coloniale » , renchérit Michel Madassamy (UGTG-LKP), qui ne compte plus les jours amendes et les procès pour faits syndicaux.
Malgré tout, les Guadeloupéens reprennent confiance en eux. « Il y a ici une expression qui dit “complot à nègres, complot à chiens” , raconte Domota. Ça signifie que des nègres qui se mettent ensemble, ça ne donne rien de bon… C’est une des batailles engagées par le LKP que de faire disparaître cette expression. »