Croix-Rouge : les salariés en colère

Avantages sociaux menacés, destructions d’emplois régulières, entraves et contournement par la direction des représentants du personnel : parmi les 18 000 salariés de la Croix-Rouge française, la grogne monte.

Mickaël Guiho  • 13 janvier 2012
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Croix-Rouge : les salariés en colère
© Photo : LIONEL BONAVENTURE / AFP

Dans un communiqué publié début janvier, quatre organisations syndicales (CFE-CGC, CFTC, CGT et FO) disent le ras-de-bol des salariés de la Croix-Rouge française.  « Il y a vraiment un grand mécontentement, un cumul de situations , confie Anne Tacquet, secrétaire du Comité central d’entreprise et secrétaire générale CGT. « On fait rarement parler de nous, mais là ça suffit. Depuis au moins ces trois dernières années, le dialogue social est en régression importante et les valeurs de la Croix-Rouge française – humanité, neutralité, indépendance, unité, impartialité… – ne sont pas respectées » . La syndicaliste va plus loin : « Je pense que le directeur général des services y est pour beaucoup. Je pense aussi que la Croix-Rouge répond assez aisément à des demandes du gouvernement [développement de certaines filières sans financement ad hoc, par exemple] *, alors qu’elle pourrait le faire en ayant ses propres exigences et en défendant un service de qualité »* .

Des menaces sur la convention collective

Les organisations syndicales dénoncent d’abord la création, l’an dernier, de l’association « Croix Rouge Insertion » et avec elle l’application d’une convention collective moins-disante, qui instaure une discrimination vis-à-vis des salariés sous la convention collective actuelle (dont la valeur a déjà été revue à la baisse). « Nous avions fait des concessions, mais visiblement aujourd’hui, les quelques avantages conservés coûtent encore trop cher, constate Eric Laurent (CFE-CGC) *. Les documents du conseil d’administration sont relativement clairs : les coûts salariaux sont trop élevés »* .

Pour Jean-François Riffaud, porte-parole de la Croix-Rouge française, les activités de l’association « ne doivent pas générer de pertes. Il aurait été irresponsable de se lancer dans le champ de l’insertion avec un modèle qui ne tiendrait pas un an » . L’association, dans un moment où les difficultés sociales se multiplient, a voulu diversifier son activité. Mais, confrontée à une diminution des subventions du gouvernement, elle a fait le choix de réduire ses coûts. Et en a trouvé le moyen en n’appliquant pas sa convention collective : la création d’une structure juridique dédiée à cette nouvelle activité permet à une autre convention de s’y substituer. En l’occurrence, la convention Synesis, signée récemment par les partenaires sociaux du secteur de l’insertion mais moins-disante par rapport à celle de la Croix-Rouge.

Si l’application d’une convention adaptée à un secteur peut paraître « légitime et logique » pour le porte-parole de l’association, il est inquiétant de constater qu’elle a surtout été la « seule solution » trouvée pour contourner les difficultés d’un « modèle économique fragile » . Alors que d’autres filières sont en délicatesse -l’aide à domicile notamment-, les syndicats s’interrogent : s’oriente-t-on vers une multiplication des conventions au rabais ? « Nous avons aussi très peur que notre convention prenne le même chemin que celle de la Fehap [Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne, autre employeur de la branche sanitaire, sociale et médico-sociale, ndlr] – qui a d’ores et déjà été partiellement dénoncée » , confie Jean-Pierre Magnan (FO). 

« Un Plan de sauvegarde de l’emploi permanent »

Depuis le 29 novembre, la Croix-Rouge a ouvert un « plan de sauvegarde de l’emploi » (PSE) pour organiser le reclassement (ou le licenciement) de 84 salariés dont les postes seront bientôt supprimés « par fatalité, pour des raisons économiques » , selon Jean-François Riffaud. Pour Jean-Pierre Magnan, si tous les établissements visés ont bien des difficultés, c’est « à cause de leur mauvaise gestion. (…)  On y répond par un PSE, mais ça ne va rien régler » . Ce n’est pas tout : « Depuis des mois, pour éviter les PSE successifs, la Croix-Rouge utilise un plan de volontariat au départ *, certes soumis aux instances de représentation du personnel, mais c’est en fait un PSE permanent déguisé »* , explique Eric Laurent.

C’est donc une politique de l’emploi bien pernicieuse et «  une certaine incompétence » que dénoncent les organisations syndicales, qui pointent également les nombreux litiges échouant souvent aux Prud’hommes. C’est aussi la stratégie globale de la Croix-Rouge qui déconcerte, l’association reprenant de nombreux établissements en situation difficile, voire largement déficitaire. Pour Anne Tacquet, « il faut mieux réfléchir sur ce qu’on doit faire, avec qui et comment. On ne peut pas lancer des projets n’importe comment et certainement pas au détriment des salariés en place » .

Evincés du conseil d’administration

Cerise sur ce gâteau empoisonné : une révision des statuts, qui pourrait être votée en assemblée générale le 20 janvier prochain, prévoit de retirer aux salariés leur statut de « membre consultatif » au Conseil d’administration. Représentant 18 000 personnes pour 50 000 bénévoles, les salariés de la Croix-Rouge tenaient « simplement à participer aux discussions, dire ce qui se passe dans la maison en tant que salarié, avoir un temps de parole , explique Eric Laurent. Là maintenant, on n’aura plus rien ! » .

Par cette révision, la Croix-Rouge répond aux recommandations du Conseil d’État, qui refuse qu’on différencie membres délibératifs (bénévoles) et consultatifs (salariés). La CGT proposait bien d’attribuer aux salariés le statut de « membres invités », mais elle n’a pas été entendue. En guise de compensation, la direction invite deux membres du comité central d’entreprise à participer deux fois par an aux conseils d’administration relatifs au budget. Mais cette disposition existe déjà : elle n’a simplement jamais été mise en œuvre.  « C’est une régression importante et un choix délibéré de la direction », estime Anne Tacquet. Une anicroche supplémentaire qui pousse certains salariés à communiquer vers l’extérieur et à rencontrer les élus locaux pour les sensibiliser à toutes ces problématiques.

Société
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