Eva Joly ne lâche pas l’affaire

La candidate écologiste peine à convaincre et baisse dans les sondages. Pourtant, elle n’entend pas renoncer à poursuivre sa campagne, et son parti annonce une contre-offensive collective.

Patrick Piro  • 26 janvier 2012 abonné·es

Illustration - Eva Joly ne lâche pas l’affaire

François Hollande et Eva Joly dans le même train, jeudi 19 janvier, pour un déplacement de campagne à Nantes : leurs entourages jurent qu’il s’agit d’une pure coïncidence. La candidate d’Europe Écologie-Les Verts (EELV) indique n’avoir croisé auparavant le candidat socialiste qu’à une seule reprise. On se claque une bise républicaine pressée sur le quai d’arrivée. Hollande, en maître de la verve, insinue que l’important, c’est de voyager de conserve vers le même but. Puis, taquin : « Tu n’as pas de véhicule ? Tu veux que je t’emmène ? »

La candidate d’EELV est confrontée depuis quelques jours à des supputations sur son renoncement. Agacée et invariable, elle devra y répondre à plusieurs reprises au cours de la journée, alors que les médias la pressent : « J’irai jusqu’au bout, les sondages ne m’inquiètent pas. » Ceux-ci lui attribuent entre 3 et 4 %. S’il était électeur en France, l’écologiste Dany Cohn-Bendit serait « tenté par le vote utile » pour Hollande, convaincu qu’il faut lui assurer d’être en tête au premier tour pour espérer « battre Sarkozy ». EELV et Joly affirment que ce dernier objectif est leur priorité, mais n’en tirent pas les mêmes conclusions. « Se retirer ? Personne n’y songe , affirme Stéphane Sitbon, directeur de campagne d’Eva Joly. Pour aller faire la claque aux meetings de Hollande ? Il est en recul par rapport à l’accord PS-EELV de novembre dernier à chacune de ses interventions. C’est le candidat le moins écolo qu’on ait connu, notre parole est plus que jamais nécessaire. »

La campagne d’Eva Joly n’en traverse pas moins une période de turbulences. Les piques délivrées à ses concurrents, et même les attaques contre Sarkozy, ne lui profitent guère. L’offre d’un accord de désistement réciproque pour le second tour, entre Hollande, Bayrou, Mélenchon et elle-même, a fait un flop ; sa proposition d’instaurer un jour férié pour les juifs et les musulmans, en pleine ébullition sur la perte du AAA français, a laissé les observateurs perplexes… Qu’à cela ne tienne. Que son discours paraisse « audible » ou pas, Eva Joly assure qu’il ne faut pas compter sur elle pour l’adapter en fonction des auditoires : « Je trace mon sillon, je parle selon mes convictions. Et je reste à ce jour la seule candidate à disposer d’un vrai programme… » Critique-t-on la justesse de son « sens politique » ? « Mon analyse est plus moderne que bien d’autres. Je veux préparer 2030 et pas 1930. Mon rôle est de faire évoluer la société française, d’y porter des idées et des débats. »

À Nantes, elle est venue travailler les questions de l’emploi et de la culture. Le public la reconnaît… poliment. « J’aimerais qu’ils se manifestent un peu plus » , souffle-t-elle. Rencontre avec une vingtaine de syndicalistes du SNU Pôle emploi. Ils sont catastrophés par le bouleversement d’un service public sommé de verser dans « l’efficience, la rentabilité et la productivité » , à raison, parfois, de 280 demandeurs d’emploi par conseiller, témoigne Jean-Charles Steyger, représentant national du syndicat. Eva Joly s’insurge contre le gouvernement, qui organise conjointement la casse sociale et la destruction des structures chargées de la prendre en charge. Visite éclair dans une agence de Pôle emploi, en forme de pied de nez à la circulaire administrative qui l’interdit aux candidats en campagne. Jean-Philippe Magnen, vice-président EELV du conseil régional des Pays de la Loire, a ses entrées…

Dans les allées de la Biennale internationale du spectacle, qui se tient à Nantes les 18 et 19 janvier, elle expose devant un parterre d’artistes ses propositions pour « une culture accessible à tous, pas pour bâtir des cathédrales élitistes »  : redéfinition du rôle respectif de l’État et des Régions, Internet et logiciels libres, légalisation du partage de fichiers numériques, remplacement du système de droits d’auteur, lutte contre la précarisation des artistes. « Et quel est le dernier spectacle vivant que vous avez vu ? » , l’interpelle l’un d’entre eux. Elle s’anime : Amnesia, une charge très audacieuse contre Ben Ali créée par une troupe tunisienne avant la chute du régime, et représentée à Avignon l’été dernier. Assentiment autour d’elle également quand elle compatit à la souffrance au travail ou bien exprime sa volonté « de mettre fin au mépris pour restaurer le lien social » .

Elle est meilleure quand elle laisse sa personnalité s’exprimer que lorsqu’elle déroule le programme, a constaté son équipe de campagne, qui a décidé une nouvelle fois de corriger le tir – un premier ajustement avait eu lieu suite à la signature de l’accord avec le PS. « Trop de réactivité à l’encontre de nos adversaires, trop de dispersion dans les messages… Nous avons du mal à faire passer l’idée que l’écologie apporte des solutions concrètes et globales » , reconnaît Stéphane Sitbon.

Alors que la campagne présidentielle entre dans sa phase active, Eva Joly devrait donc se concentrer désormais sur quelques propositions constructives, notamment la conversion écologique de l’économie et la promesse de créer « un million d’emplois » , ainsi que la « république exemplaire » , terrain où l’ex-magistrate est très à l’aise. Elle est également incitée à parler plus « d’elle-même » .

La direction d’EELV a décidé de réagir, lors d’un séminaire qui a réuni les cadres le 11 janvier dernier. La chute de la candidate dans les sondages, interrompant la très bonne série électorale inaugurée par le scrutin européen de 2009, fragilise les ambitions du parti. « Tout le monde est conscient que le résultat de la présidentielle va conditionner le poids de l’écologie politique pour la suite » , souligne Stéphane Sitbon. À commencer par les législatives de juin prochain. Les mauvais sondages d’Eva Joly semblent enhardir les socialistes mécontents de l’accord électoral PS-EELV. Le remuant Arnaud Montebourg déclare n’être pas lié par le texte. Des candidatures dissidentes sont annoncées parmi la soixantaine de circonscriptions réservées aux écologistes.

Aussi l’objectif d’EELV est-il de sauver les meubles. Bien loin du résultat « à deux chiffres » évoqué cet été, il s’agit d’accrocher la fameuse barre des 5 % de votes à la présidentielle, pour obtenir au moins le remboursement des frais de la campagne. Dont le budget est tombé à 2,5 millions d’euros, division par deux. Eva Joly indique avoir contracté un emprunt personnel pour contribuer à l’effort financier.

Se sent-elle suffisamment soutenue par le parti ? Silence, puis :  « Mon équipe est sans faille derrière moi… » Les cadres écologistes sont restés bien discrets jusque-là. Ils sont aujourd’hui invités à multiplier partout en France les interventions avec Eva Joly, ou bien en son nom. La secrétaire nationale, Cécile Duflot, a montré l’exemple en accompagnant la candidate à Bordeaux la semaine dernière. « Le résultat d’Eva Joly sera celui que nous allons faire ensemble » , explique-t-elle, endossant la tunique de doublure numéro un de la candidate.

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