Free Mobile : fin du racket Orange, SFR et Bouygues?
C’est officiel, Free débarque dans la téléphonie mobile avec des tarifs imbattables. L’occasion pour Edouard Barreiro, responsable des questions de télécommunications à l’UFC-Que Choisir, de revenir sur les arnaques orchestrées depuis quinze ans par les trois opérateurs « historiques », Orange, SFR et Bouygues. Et de relativiser la bonne image de Free dans le secteur.
En 1996, Bouygues Telecom révolutionnait le petit marché de la téléphonie mobile – 4 ans après l’arrivée d’Itinéris (France Télécom/Orange) et SFR –, en lançant le premier forfait mobile en France, rapidement imité. Aujourd’hui, avec des marges brutes à deux chiffres, les trois entreprises se partagent un gros gâteau et un marché « captif » en bonne entente. Trop bonne, même : en 2005, le Conseil de la concurrence les a condamnés pour « entente illicite ». Alors que Free Mobile vient désormais rogner sur leurs plates-bandes, Edouard Barreiro, responsable des questions de télécommunications chez UFC-Que Choisir, revient sur les pratiques commerciales douteuses menées sans vergogne par les trois opérateurs pendant toutes ces années.
De manière générale, que pensez-vous des prix des abonnements « mobiles » en France ?
Le marché a beaucoup changé cessix derniers mois, depuis que les opérateurs sont au courant de l’arrivée de Free. Mais avant, on avait des prix parmi les plus élevés en Europe, alors que l’Europe n’est déjà pas brillante par rapport au reste du monde. Dans l’absolu, certains prix avaient même augmenté : de 30 euros les 5-6 heures de forfait, on est passé à 33 euros les 3h, à cause de l’ajout d’options dont personne n’avait besoin, comme l’illimité vers 3 numéros du même opérateur (un bon moyen de fidéliser les clients…).
Quels ont été vos principaux chevaux de bataille pour améliorer l’offre ?
Nous avons mené et menons encore beaucoup de campagnes : sur les SMS trop chers, pour la facturation à la seconde, contre l’exclusivité d’Orange sur l’iPhone, sur l’utilisation abusive du terme « illimité »… Nous avons surtout obtenu auprès de la Commission européenne la division par 10 du prix des terminaisons d’appels (droits de passage payés à chaque appel d’un réseau vers un autre). C’est grâce à cela que les opérateurs proposent désormais l’illimité vers tous les opérateurs, même dans des forfaits « low cost » ou depuis les Box.
Des forfaits qui se ressemblent beaucoup : comme le signe d’une entente ?
C’est vrai que, pendant longtemps, c’était le « règne des trois », qui depuis toujours ne s’agressaient pas mutuellement.On peut parler de non-rivalité. Ils se partageaient 45, 35 et 15 % du marché, et cela leur convenait très bien, alors pourquoi se concurrencer, pourquoi prendre des risques ? Mais aujourd’hui, les opérateurs historiques sont pris à la gorge par l’arrivée de Free. C’est par nécessité plus que par entente qu’ils ont sorti Sosh, Red et B&You, des forfaits pour lesquels ils ont développé une infrastructure légère et souple, qui pourra être adaptée pour contrer Free Mobile sans pour autant modifier les contrats conclus par les abonnés aux forfaits classiques, donc sans leur donner l’opportunité de partir…
Doit-on faire davantage confiance à Free ?
On fait pratiquement une procédure par an à cause de toutes les clauses abusives que comportent les contrats des opérateurs et qui apparaissent encore à chaque fois qu’on en a nettoyé une. Or, Free est particulièrement retord là-dessus ! Chaque fois qu’il peut abuser du système, Free est comme les autres, il abuse. Mais en plus, il ne veut pas du tout obtempérer. Par exemple, quand on a obtenu une loi contre la surtaxation des hotline, un seul a trouvé une parade pour s’y soustraire, c’est Free… Il a fallu faire une procédure spéciale en justice pour qu’ils cessent, il y a quelques mois, de surfacturer les gens.
Mieux vaut donc miser sur la loi que sur Free pour améliorer les choses ?
Peut-être mais, sur beaucoup de sujets, on n’arrive pas à avancer. Les opérateurs sortent toujours l’artillerie (menace à la perte d’emploi, à l’augmentation des prix, …) et, parce que c’est un secteur important pour la croissance, il y a beaucoup de tabous. Prenez Luc Chatel : d’abord à fond pour le plafonnement des durées d’engagement à douze mois, il ne l’a plus vraiment été une fois devenu Secrétaire d’État à la consommation, bidouillant une loi qui permet seulement de résilier après douze mois en payant un tiers du reste à payer . Il y a beaucoup de politique dans les télécoms et beaucoup de choses qu’on n’a pas le droit de dire.
Comment jugez-vous l’action de l’Arcep (Autorité de régulation des communications et des postes) ?
L’Arcep nous a accompagné dans toutes nos batailles. Pour l’anecdote, quand je défendais la baisse du prix des terminaisons d’appel, j’avais des discussions avec des régulateurs de différents pays, et l’Allemand m’a un jour dit : « Moi ce qui m’intéresse, c’est la valeur en Bourse de Deutsche Telekom » (leur champion national). En France, on a la chance d’avoir un régulateur très engagé, trop selon le gouvernement. On espère bien qu’il ne va pas faiblir. Mais le vrai souci, c’est qu’il n’a pas le droit de se saisir de tous les problèmes de consommation : il ne peut s’en mêler que s’il prouve qu’il existe une pratique non-concurrentielle. D’ailleurs, à l’origine, l’Arcep ne s’occupait que des relations entre les opérateurs. Ce ne sont que des évolutions législatives récentes – dont le « Paquet télécom » voté au Parlement européen – qui lui ont donné vocation à s’intéresser au consommateur.
On dit aussi que l’arrivée d’un quatrième opérateur aurait été permise par l’action de François Fillon, contre l’avis de Nicolas Sarkozy. Vous attendiez ce nouvel acteur depuis longtemps ?
Oui, depuis plus de quatre ans, à cause du lobby des opérateurs qui faisaient blocage. Mais à un moment, quand l’absence de concurrence est si flagrante et qu’on se fait régulièrement taper sur les doigts par la Commission européenne, l’ouverture du secteur à un nouveau concurrent finit par s’imposer par la force de l’évidence. Mais au-delà des prix, il faut plutôt attendre de Free de l’innovation. Aujourd’hui, on a une convergence commerciale avec les offres quadruple play (internet+TV+fixe+mobile), mais pas de convergence technique (basculement automatique du téléphone mobile sur la box quand on est chez soit, téléphonie mobile via les hotspots wifi des opérateurs quand on n’a pas de réseau ou plus de forfait, …). Il n’y a pas non plus de forfaits famille comme aux États-Unis, pour partager comme on le veut des services entre quatre cartes SIM. Bref, il y a beaucoup d’innovations que Free Mobile ferait bien d’amener sur un réseau français qui en manque cruellement.
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