Guy Bedos : « J’ai 30 ans  ! »

À l’occasion de son dernier spectacle, Guy Bedos revient sur son métier et son désir de quitter la scène. Il livre son regard sur les comiques actuels et s’explique sur ses engagements.

Jean-Claude Renard  • 12 janvier 2012 abonné·es

Qu’est-ce qu’on ressent à l’idée de monter sur scène pour une tournée d’adieux ?

Guy Bedos : Je n’aime pas le mot « adieu ». Je suis athée. Rien n’est à Dieu. C’est à moi ! Je ressens évidemment un pincement au cœur. J’adore ce métier. Je prends un pied énorme chaque soir avec un public affectueux, enthousiaste. Il n’y a pas grand-chose dans la vie qui puisse me donner ce plaisir physique.

Mais, si je me suis laissé manger par ce métier, j’ai envie d’en exercer d’autres qui sont à ma portée. J’aime écrire des livres, des chroniques, intervenir autrement que sur scène avec la revue de presse, et j’ai envie de faire du cinéma, de voyager. Je ne me prends pas pour Jack London, mais je ferais bien une sorte de tour du monde que je raconterais dans un bouquin.
Dans ma tête, j’ai 30 ans. J’ai de l’avenir. Quand on me dit « vous ne faites pas votre âge », je réponds que mon âge me défait ! Dans deux ans, j’aurai l’âge de Jacques Chirac… Je ne sais pas dans quel état je serai. Je préfère partir en beauté !

Si vous débutiez aujourd’hui, comment vous y prendriez-vous ?

Rude question ! Je suis attentif à mes jeunes confrères. C’est apparemment plus facile, mais en réalité plus ­difficile que de mon temps. D’abord parce qu’ils commettent l’erreur, sans être encore très connus, de faire leur one-man-show tout de suite. À mon époque, on faisait un sketch de quelques minutes dans un cabaret de la rive gauche. J’ai commencé en même temps que Devos, Dufilho, Jean Yanne, Marielle. On franchissait les étapes doucement. C’est seulement après trois ans de cabaret que Barbara m’a proposé d’être sa covedette à Bobino. Après est venu un spectacle, puis un film… L’ascension a été douce. Aujourd’hui, les jeunes payent eux-mêmes l’établissement dans lequel ils se produisent. Ils sont 150 à Paris à faire du one-man-show. Il y a fatalement des morts. N’est pas Jamel Debbouze qui veut.

Pensez-vous qu’il existe une relève ?

Je cite souvent Christophe Alévêque, Stéphane Guillon et Didier Porte, qui ne sont pas les mêmes, et moi-même je ne suis pas comme eux et inversement. Je les cite parce qu’ils touchent tous trois à la politique, mais François-Xavier Demaison, sans directement y toucher, n’est pas moins politique. Et il est très bon, comme le Comte de Bouderbala. Je ne suis pas irremplaçable, et je n’en rêve pas. On se passera de moi !

Qu’est-ce qui vous a poussé à remonter sur scène ? La présidentielle ?

C’est évident. D’ailleurs, comme je ne suis pas blasé, tout est cadeau pour moi en ce moment. Beaucoup de gens me disent que ce spectacle est nécessaire aujourd’hui. Cela vaut des meetings facultatifs de certains politiques professionnels.

Le prix des places de votre spectacle, de 10 à 34 euros, est relativement modeste. Est-ce un parti pris ?

Oui, je veux jouer dans des théâtres accessibles. C’est ce que j’avais fait au Cirque d’hiver, alors que j’étais producteur du spectacle et au pourcentage. Je ne veux pas que le théâtre soit inaccessible aux jeunes gens, aux chômeurs. J’ai toujours milité pour ça, j’essaye d’être cohérent.

Vous semblez avoir traité la scène comme une thérapie…

Je ne réfute pas la psychanalyse, même si certains de ses représentants, qui passent notamment à la télévision, sont des escrocs, à côté de gens sincères. Mais quand on a la chance d’écrire, de s’exprimer en public, de pouvoir transposer des misères intimes pour en faire du drôle avec du triste, on n’a pas besoin de psychanalyste.

  1. Naissance à Alger, le 15 juin. _ 1963. Joue dans Dragées au poivre, de Jacques Baratier. _ 1965. Sur scène avec Barbara. _ 1974-1981. Interdit d’antenne sous Giscard. _ 1976-1977. Débuts en solo après dix ans avec Sophie Daumier. Au cinéma : Un éléphant, ça trompe énormément et Nous irons tous au paradis, avec Yves Robert. _ 1993. Joue la Résistible Ascension d’Arturo Ui, de Brecht. _ 2007. Sarko and Co, Le Cherche-Midi. _ 2010. Plans rapprochés, Stock. _ 2012. Rideau !, au Rond-Point, puis en tournée. Dans le film de Stéphane Robelin Et si on vivait tous ensemble ?
Dans votre revue de presse, vous écorchez moins qu’à l’ordinaire les médias. Seriez-vous réconcilié avec eux ?

J’ai été dur avec quelques journalistes. Dès 1981, je disais que certains journalistes de télévision ont appris leur métier à l’école hôtelière : ils posent des questions comme on passe des plats, à leurs maîtres. Ce sont des domestiques.

Ça n’a pas beaucoup changé, mais je connais des journalistes de gauche au Figaro et des gens à Libération qui mériteraient d’écrire à Minute. Ce n’est pas le journal qui définit le journaliste. Mais, en ce moment, on me reçoit comme si j’allais mourir dans huit jours. C’est très agréable ! Et partout ! Même à France Inter, où des gens font de la résistance tranquille alors que je suis fâché avec Philippe Val.

Pour l’anecdote, j’ai récemment été décommandé au dernier moment par Laurent Ruquier. J’allais dans son émission sans véritable enthousiasme, mais pour fêter le départ d’Éric Zemmour. Or, quelques jours avant, je suis allé voir le spectacle de Gaspard Proust. J’ai eu l’impression d’assister à un meeting de l’UMP ! Avec quelqu’un disant des horreurs sur la gauche, insultant la mémoire de Desproges, auquel on l’a comparé ; sauf que lui est réellement méchant, ce que n’était pas Desproges, qu’il est réellement réac, ce que Desproges n’était pas. Je suis parti avant la fin, discrètement, sur la pointe des pieds. J’étais accompagné d’une journaliste du Monde , Macha Séry, sans savoir qu’elle écrirait un papier disant que Proust était le Zemmour de l’humour. Ruquier n’a pas apprécié, et a dû penser que j’avais inspiré cet article.

C’est la première fois que je subis une censure financière, Laurent Ruquier étant le producteur de Gaspard Proust. Pour quelqu’un qui se prétend un confrère, qui rit beaucoup à ce qu’il dit (il faut bien qu’il y en ait un qui se dévoue), j’ai trouvé ça choquant. Ruquier aurait mieux fait de nous inviter, Gaspard Proust et moi, pour discuter.

L’époque actuelle est-elle plus violente, politiquement et socialement, que lorsque vous débutiez ?

Je ne me rends pas bien compte. Ce dont je suis sûr, c’est qu’on ne fait rien pour améliorer les situations. Quand on parle de violence, on songe tout de suite aux cités dites sensibles. Je n’accepte pas le comportement de jeunes qui brûlent la bagnole de leurs voisins. Ils ne vont pas à Neuilly parce qu’ils se feraient tirer dessus. Je ne passe pas ma vie dans les beaux quartiers, mais je ne vais pas non plus aller habiter une banlieue pourrie pour être légitime en homme de gauche, n’en déplaise à Zemmour. Je ne fais pas partie de la gauche caviar, je suis de la gauche couscous ! Je m’intéresse beaucoup aux migrations car je viens de là.

Pour être proche de Claude Dilain, ancien maire de Clichy, je n’oublie pas les deux gosses qui sont morts dans un transformateur électrique par peur de la police. Ça a donné les émeutes que l’on sait. En délégué à la Ligue des droits de l’homme, j’avais dit à Sarkozy que la police devait être différemment formée, jouer les grands frères, qu’il fallait miser sur la police de proximité. Quelques jours après, il a eu cette réponse historique, parmi d’autres : « Les policiers ne sont pas des assistantes sociales. » Aujourd’hui, les gosses, dès qu’ils voient un CRS, ils courent. Ce ne sont pas des délinquants, mais ils ont peur.

Il faudrait aussi être attentif à l’urbanisme, au logement. Messieurs Guéant, Hortefeux et Besson ne s’intéressent qu’aux conséquences, jamais aux causes. Il existe des causes objectives de délinquance. Il est pédant de le rappeler, mais Hugo disait : « Construire une école, c’est fermer une prison. » Comment peut-on laisser vivre deux familles avec cinq ou six enfants dans 50 m2 ? Comment veut-on que les gosses, après l’école, fassent correctement leurs devoirs ? Ils se mettent forcément à déconner. Est-ce qu’on y a pensé ? On devrait le faire plus humainement, plus intelligemment.

Vous n’avez rien perdu de vos colères…

On fait tout à l’envers en ce moment. On a supprimé le bouclier fiscal, mais il faudrait remonter aux cadeaux qui ont été faits aux ultrariches. Sur scène, je cite Albert Einstein : « On ne peut pas demander à ceux qui ont créé les problèmes de les résoudre. » Cela convient exactement à Sarkozy et aux siens. Depuis le Fouquet’s et le yacht de Bolloré, ils ont inventé des comportements infects. Tout n’est pas dû au seul Sarkozy, certes, ni même aux siens. C’est le système de marché, le capitalisme, pour dire les choses. Là, le capitalisme en prend un coup. Mais il est plus facile de faire tomber le mur de Berlin que celui de Wall Street ! On fait des cadeaux aux banques…

Je ne suis pas économiste, ce sont des questions très complexes, je m’y perds facilement dans ces histoires de pognon, il faut savoir suivre, mais ce qui ne m’a pas échappé, c’est qu’on s’attaque aux petits et non aux gros. D’une certaine manière, on est quasiment dans une situation ­prérévolutionnaire. Le peuple a faim et Marie-Antoinette répond qu’on lui donne de la brioche ! On en est là.

Que vous inspirent le livre de Stéphane Hessel et le mouvement des Indignés ?

Il paraît que j’aide des gens à vieillir. Je peux dire que Stéphane Hessel m’aide à vieillir ! Avoir 93 ans et être tel qu’il est, dans la vivacité, le partage, c’est extraordinaire. Il y a maintenant des indignés, un peu partout dans le monde, à part en France. Ils sont sur Facebook ! Mais si Sarkozy reste en mai, à mon avis, ça va bouger. Et je serai dans la rue avec les autres, personnellement.

Comment voyez-vous la présidentielle ?

Si l’on en croit les sondages, et surtout si la gauche veut bien faire l’union de la gauche, elle a toutes ses chances. Hollande et Mélenchon, que j’aime beaucoup, sont tous deux un peu nostalgiques de Mitterrand, lequel avait quelques qualités et pas seulement des défauts, et il a réussi cette union. Ce qui est sûr, c’est que Sarkozy s’est déconsidéré à vie, politiquement, humainement, intellectuellement.

Société
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