Hélas, le Dakar roule encore
Et si ce n’était pas le monde qui finissait en 2012, mais le Dakar ? Depuis 1979, de pseudo-aventuriers et leurs grosses cylindrées sont les acteurs de cette caravane publicitaire dévastatrice pour l’environnement.
Délocalisé en Amérique du Sud en 2009 après son annulation l’année précédente , le « Dakar » est parti ce 1er janvier de Mar del Plata, en Argentine. L’épreuve traversera le Chili, avant de finir à Lima, au Pérou, le 16 janvier. L’escapade est, d’abord, une folie meurtrière : dès la première étape, un motard a été victime d’une crise cardiaque à la suite d’une chute. D’autres, simples spectateurs au bord des routes, sont tombés lors de précédentes éditions.
Une folie meurtrière donc, mais aussi et surtout un massacre environnemental. La direction de cette compétition se prétend portée « par une passion collective pour les grands espaces et les sites naturels d’exception » , « attachée au respect des lieux » . Pour Stephen Kerckhove, d’Agir pour l’Environnement, il s’agit ni plus ni moins que de « greenwashing » : « Quand on a beaucoup à sa faire pardonner, on communique très fortement sur les éléments qui pourraient nous valoir des critiques. Donc, évidemment, les organisateurs du Dakar sont amenés à communiquer plus vert que vert, car directement et indirectement, le Dakar a un impact significatif sur les émissions de gaz à effet de serre, la consommation d’énergie, les écosystèmes et la diversité locale » .
Sur le site officiel de la course, une page est entièrement dédiée à cet écoblanchiment : **
-* « Une course qui compense 100 % de ses émissions carbone […] à travers l’accompagnement du projet environnemental et sociétal Madre de Dios » qui lutte contre la déforestation (en fait, le paiement d’un droit à polluer)
-* « Un parcours concerté [avec] les services concernés par les questions environnementales et patrimoniales » : en fait, avec les autorités gouvernementales, qui – comme bientôt les Paraguayens, les Brésiliens et les Boliviens – veulent absolument bénéficier des retombées économiques de l’événement, estimées pour le cas argentin en 2011 à 280 millions de dollars, ce qui peut facilement déséquilibrer les négociations du tracé…
-*Le Dakar dit aussi inciter à l’utilisation de véhicules à énergies renouvelables (l’an dernier, l’incitation avait fonctionné sur 2% des participants…), imposer à tous les concurrents la signature d’une Charte, effectuer un état des lieux de chaque bivouac en présence des autorités locales et même trier et faire traiter ses déchets.
Si personne n’est dupe de cette mascarade, une association comme Agir pour l’Environnement pointe désormais surtout l’impact indirect du Dakar. « Ce que nous on conteste, c’est aussi les images véhiculées et l’exemple donné pour le grand public, c’est-à-dire des véhicules sur-puissants et des conducteurs qui s’affranchissent des règles » , explique Stephen Kerckhove. « Quand une marque automobile investit dans le Dakar, ce n’est pas pour la beauté du geste. C’est surtout parce qu’elle va ainsi être promue auprès des automobilistes, qui vont recevoir le message 5 sur 5 : vous avez le droit de rouler vite, n’importe comment, en vous affranchissant de tout ou partie des règles ! Pourquoi un individu lambda devrait être soumis à l’interdiction quand le modèle promu à la télévision est celui du Dakar ? ».
Et pour être promu ce modèle, il l’est ! France Télévisions , fidèle partenaire, consacre au Dakar 2012 une heure de direct par jour sur sa chaine de la TNT France 4, en plus d’un bivouac à chaque étape sur France 2. Sans parler des pages spéciales dans les journaux, qui concernent aussi Radio France : sur France Info, impossible de louper le classement du Dakar ! Comment l’expliquer ? « Les médias ont une crise du monde automobile de retard, estime Stephen Kerckhove. Les individus aujourd’hui attendent d’une automobile qu’elle soit un bon outil adapté à la zone utilisée, pas forcément permettant de rêver et de faire fantasmer le conducteur. Il serait temps que les médias et les organisateurs de ce type de rallye s’aperçoivent que ce qui fait rêver les individus aujourd’hui, ce n’est plus le 4×4 dans les dunes. Ca a été lancé au XXe siècle, nous sommes au XXIe : il n’a plus de raison d’être. J’espère que je verrai la fin du Dakar » .
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