« Il existe une autre politique pour l’emploi »

Après le sommet social, qui s’est tenu sur fond de perte du triple A de la France, Éric Aubin détaille des propositions alternatives à celles du gouvernement.

Thierry Brun  • 19 janvier 2012 abonné·es

La CGT a participé au sommet social du 18 janvier convoqué par Nicolas Sarkozy, tout en mobilisant ses troupes contre les mesures « antisociales » envisagées par le gouvernement, notamment en matière de financement de la protection sociale. Le secrétaire général, Bernard Thibault, a regretté la « passivité coupable » des autres syndicats, qui n’ont pas rejoint la CGT lors de la manifestation du même jour, et a réitéré son appel à la « mobilisation », « échéance politique ou pas ». La confédération mobilisera à nouveau le 31 janvier, au Zénith à Paris, à l’occasion d’un meeting national « pour la reconquête de la retraite à 60 ans » .

Transformé en sommet de crise, le sommet pour l’emploi promet une avalanche de réformes pour renforcer l’austérité.

Éric Aubin : Nous n’en sommes pas à notre premier sommet social avec Nicolas Sarkozy. Nous connaissons la façon dont les choses se déroulent et nous savons que, dans cette période de crise qui perdure, il s’agit plutôt d’un effet d’affichage de sa part. Malgré les deux plans de rigueur annoncés ces derniers mois, la France a perdu son triple A ! Et le président de la République semble vouloir accélérer les réformes régressives qui permettraient de donner de nouveaux gages aux agences de notation.

Lors de la préparation du sommet, nous avons eu une rencontre avec Xavier Bertrand, ministre du Travail, qui a annoncé la couleur. De plus, nous avons eu l’impression, d’après les propos de ­certains ministres, que les décisions s’étaient jouées avant le sommet. Des arbitrages auront lieu après, mais, en tout état de cause, ce n’est pas le sommet social qui va changer les choses.

Parmi les annonces, figurent bien les accords de « compétitivité emploi », qui remettraient en cause, notamment, le temps de travai l…

Le fait que le gouvernement reprenne une proposition du Medef n’est pas nouveau. En 2010, lors de la réforme des retraites, il avait fait de même sur les questions de pénibilité. La méthode n’a donc pas changé. L’idée même de cet accord de compétitivité est de jouer sur deux variables : le temps de travail et la rémunération. Le gouvernement veut baisser le temps de travail et la rémunération quand il y a une sous-activité. Il se heurte cependant à un problème juridique puisque la rémunération fait partie des éléments constitutifs du contrat de travail. Une procédure est prévue par les textes : pour modifier le contrat de travail, l’accord du salarié est nécessaire. Il y a donc bel et bien un problème juridique…

D’autre part, le principe d’accords de ce genre a déjà été tenté, en particulier à l’usine Continental de Clairoix. Les salariés ont accepté des modifications du temps de travail, et leur boîte a fermé quelques années après. La fédération de la métallurgie CGT connaît plusieurs exemples d’entreprises où les salariés ont accepté des mesures de diminution du temps de travail et des salaires, ce qui n’a pas empêché ces entreprises d’être en difficulté et de fermer leurs portes. Ce genre d’accord ne répond pas à la situation de crise que nous connaissons aujourd’hui.

**Quelle proposition avez-vous présentées au gouvernement ?
**

Nous défendons l’idée d’un système de chômage partiel ­unifiant les dispositifs existants, dont l’activité partielle de longue durée (APLD), qui maintiendrait le contrat de travail et le salaire. Notre dossier tient la route en matière de financement. Nous proposons une solidarité entre les entreprises à travers un réajustement de leurs versements à l’Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés (AGS), qui intervient dans les cas d’entreprises en liquidation ou en difficulté. Au plus fort de la crise, les cotisations patronales de l’AGS ont baissé : elles sont passées de 0,6 à 0,15 %, pour ensuite être relevées à 0,3 %. Nous proposons de revenir à 0,6 %, ce qui permettrait de dégager un milliard et demi d’euros pour le chômage partiel.

Un autre élément de financement peut venir de l’État, par une remise en cause de la défiscalisation des heures supplémentaires, qui coûtent plus de 4 milliards d’euros par an. La CGT préconise une troisième source de financement, en demandant à l’Unedic de mettre 300 millions dans le dispositif. On aurait ainsi un dispositif simplifié avec un fonds qui serait abondé à hauteur de 3 milliards d’euros. Rappelons qu’en 2011 le gouvernement n’a consacré que 600 millions d’euros au chômage partiel, quand l’Allemagne a mis 6 milliards d’euros… Cette proposition s’inscrit dans un ensemble plus important en faveur d’une autre politique de l’emploi.

Le gouvernement veut mettre en place une TVA « sociale », aussi nommée TVA antidélocalisation. Que pensez-vous d’un tel mode de financement de la protection sociale ?

Le but est de transférer les cotisations sociales assises sur le travail vers l’impôt le plus injuste, la TVA. Cela fragilise la protection sociale, notamment parce qu’il n’est pas sûr que les points de cotisations sociales transférés vers l’impôt n’aillent pas vers autre chose. Augmenter la TVA pèse sur le pouvoir d’achat dans une période où l’on sait que le taux de pauvreté augmente. De plus, l’argument du gouvernement selon lequel il s’agirait surtout de produits d’importation n’a pas de sens : ceux-ci ne représentent que 30 % de l’ensemble des produits de consommation, alors qu’une augmentation de la TVA concerne l’ensemble des produits.

Que serait pour nous une réforme du financement de la protection sociale ?
Nous voulons moduler les cotisations et prendre comme référence la part de la masse salariale dans la valeur ajoutée. C’est une solution pour traiter différemment les grandes entreprises et les ­artisans, qui paient les cotisations selon les mêmes règles, ce qui est aberrant. Il faut aussi élargir l’assiette de cotisation pour le financement de la protection sociale, car nous avons de plus en plus de revenus non soumis à cotisation. Les revenus financiers des entreprises doivent être mis à contribution car, l’année dernière, les grandes entreprises ont versé 210 milliards de dividendes aux actionnaires quand elles ont investi 170 milliards. C’est tout de même fort de café !

Que faire en matière de formation ?

J’ai entendu Xavier Bertrand déclarer qu’il faut amplifier la ­formation des demandeurs d’emploi. Il y a deux ans, le même gouvernement a supprimé l’allocation de fin de formation. 160 000 demandeurs d’emploi en bénéficiaient. Il a aussi pompé à deux reprises 300 millions d’euros dans le fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels. On ne peut pas dire qu’il faut faire plus sur la formation des demandeurs d’emploi et, dans le même temps, réduire les moyens ! On sait qu’environ 30 % des demandeurs d’emploi souhaitent une formation, et que seulement 7 % y ont accès.

Quoi qu’il en soit, cela ne réglera pas le problème de l’emploi. Appliquer l’égalité salariale femmes-hommes, inscrite dans la loi, permettrait de faire entrer 5 milliards d’euros dans les caisses de retraite. Autre exemple : le travail illégal coûte 16 milliards d’euros aux caisses. Enfin, l’ensemble des organisations syndicales demande de supprimer la politique de défiscalisation des heures supplémentaires. Le gouvernement n’a pas fait ces choix.

Travail
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