La LPO, drôle d’oiseau

Un siècle après sa fondation, la Ligue pour la protection des oiseaux, qui emploie 400 salariés, se bat toujours bec et ongles.

Claude-Marie Vadrot  • 12 janvier 2012 abonné·es

Il y a tout juste un siècle, une bande de joyeux chasseurs parisiens débarquait sur l’île de Rouzic, au large de Perros-Guirec, dans le département des Côtes-d’Armor, alors connu sous le nom de Côtes-du-Nord. Ils abattaient en quelques heures plusieurs centaines de macareux moines, également appelés perroquets de mer. Pour le « plaisir » de la chasse, car ces oiseaux sont rigoureusement immangeables. Même satisfaction douteuse que celle des chasseurs qui ont récemment fusillé quatre cigognes blanches en Vendée, ou de ceux qui dispersent des appâts empoisonnés pour éliminer les rapaces, notamment buses et milans royaux, qui leur feraient de la concurrence en se nourrissant de petit gibier.

En 1912, la nouvelle du massacre de Rouzic est relayée par une presse quotidienne nationale et régionale puissante et très lue. L’incident devient un scandale national, dans un pays où, pourtant, les chasseurs restaient des rois presque incontestés. Certaines espèces à plumes et à poils étaient déjà en voie de raréfaction, car pourchassées avec de plus en plus d’efficacité, et parce que les rares accords nationaux et internationaux visant à protéger certaines espèces, comme la Convention européenne signée en 1905 sur la protection des migrateurs, n’étaient pas respectés.

La LPO compte actuellement 46 000 membres, dont 5 000 militants bénévoles actifs. Elle emploie environ 400 salariés répartis entre son siège social, situé à Rochefort, son siège parisien et ses délégations régionales ou départementales. Elle publie un trimestriel, l’Oiseau Magazine, servi à 23 000 abonnés, ainsi qu’une revue plus scientifique, Ornithos. Depuis vingt-cinq ans, elle est présidée par Allain Bougrain-Dubourg, journaliste et producteur de cinéma, qui anime chaque dimanche après-midi sur France Inter , avec Élisabeth de Fontenay, l’émission « Vivre avec les bêtes ». Reconnue d’utilité publique, la LPO représente en France l’organisation Bird Life International. Sans la LPO, dont le budget annuel tourne autour de 12 millions d’euros, le ministère de l’Écologie ne pourrait assurer le suivi, le comptage et le baguage des populations d’oiseaux, ainsi que la protection de nombreuses espèces. Enfin, la LPO gère, dans le cadre d’une délégation d’une mission de service public, neuf réserves naturelles nationales, cinq réserves régionales et 1 500 hectares dont elle est propriétaire.

Considérés comme des prédateurs des récoltes, les oiseaux étaient d’abord victimes d’empoisonnement au cyanure par les paysans. Avec l’amélioration rapide des armes à feu, la chasse se transformait ensuite en exercice de tir : les auteurs ne ramassaient même pas le gibier ! Mais à Rouzic, ils avaient dépassé les bornes en allant jusqu’à menacer des habitants…
Quelques mois auparavant, la section ornithologique de la vieille Société nationale d’acclimatation et de zoologie avait pris ses distances avec son association mère, jugée trop conformiste. Le petit groupe faisant sécession exige que le type d’exploit de Rouzic soit interdit, et donne naissance à la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO). Les esprits s’enflamment, au point qu’on trouve dans la presse des articles réclamant tout bonnement l’interdiction de la chasse.

Devant l’ampleur de la réprobation, le préfet du département des Côtes-du-Nord décrète l’interdiction de chasser sur la petite île, malgré les protestations des chasseurs et des touristes qui participaient à grands frais aux safaris organisés par les Chemins de fer de l’Ouest : le train emmenait les tireurs en convois spéciaux depuis la région parisienne pour leur offrir des cibles vivantes plus excitantes que les pigeons en argile des ball-traps.

La LPO clame que l’interdiction préfectorale ne sera pas respectée. Le préfet, soucieux de faire plaisir au premier président de l’association, le réputé Louis Magaud d’Aubusson, accorde à la LPO un bail emphytéotique sur l’ensemble des îles situées au large de Perros-Guirec, qui appartenaient alors, comme toutes les îles françaises, à la Marine nationale. Elles deviennent ainsi la première réserve naturelle française : il est interdit d’y accoster.

Ce statut n’a jamais été remis en cause, jusqu’à ce que soit créée officiellement sur l’archipel, en 1976, la réserve nationale des Sept-Îles, dont les oiseaux seront malheureusement décimés par trois marées noires successives : celles du Torrey Canyon en 1967, de l’ Amoco Cadiz en 1978 et du Tanio en 1980.
Mais, au début du XXe siècle, la LPO doit avant tout convaincre une France rurale qui ne s’intéresse qu’aux oiseaux utiles à l’agriculture, c’est-à-dire se nourrissant d’insectes. Ses militants, issus de la bourgeoisie ou de l’aristocratie, dénoncent déjà le recours abusif aux pesticides, en usage depuis les années 1870.

La LPO a toujours représenté une force de contestation particulière, que souligne la diversité de ses présidents. Le premier était avocat, suivi du propriétaire d’un parc zoologique, puis d’un colonel qui affronta toutes les marées noires, d’un agrégé de physique et, aujourd’hui, d’un journaliste : cinq présidents en un siècle, tous déterminés.

Aujourd’hui, la LPO a une vision large de sa mission, et une longueur d’avance en matière de protection des espèces sauvages grâce, notamment, à l’impulsion de son directeur, Michel Métais. L’association ne dissocie pas la préservation ou la réhabilitation des écosystèmes de la sauvegarde des espèces : refus de l’assèchement des zones humides, préservation des forêts littorales, étendues de buissons ou des espaces de récolte du sel. Un travail de terrain qui s’attaque aux pratiques agricoles ou urbanistiques dangereuses.

Ce qui n’empêche pas la LPO de rester ferme face aux chasseurs. Elle peut d’ailleurs se féliciter de la décision récente du Conseil d’État imposant que la clôture de la chasse aux oies sauvages (cendrées, rieuses et oies des moissons) soit antérieure au 31 janvier de chaque année, et non plus fixée au 10 février. Décision qui provoque la colère des chasseurs, au motif que ces oies ne sont pas des espèces menacées…

L’engagement de la LPO lui a permis de faire quasiment disparaître la chasse de printemps à la tourterelle dans le Médoc ou le massacre des migrateurs au col de l’Escrinet en Ardèche. Maintenant, la LPO doit rajeunir ses rangs, transmettre à la jeunesse sa passion des volatiles.

Écologie
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