La voix du peuple ? Ben voyons…
Marine le Pen se fait passer pour la championne de la défense des classes populaires. En réalité, les thèses du FN sont proches de celles du Medef.
dans l’hebdo N° 1185 Acheter ce numéro
À en croire une légende tenace, le principal fait d’armes de Marine Le Pen serait d’avoir impulsé un virage social au Front national. Cette « offensive », qui a alimenté de nombreux sujets de reportage, a vite été réputée un succès. Le Journal du dimanche claironnait dès le 24 avril 2011, et sur quatre colonnes en une, que Mme Le Pen pouvait compter en 2012 sur un « plébiscite ouvrier » puisqu’un « sondage Ifop » lui assurait 36 % des voix dans cette catégorie de la population, soit « plus d’intentions de vote que le PS et l’UMP réunis » . Trois semaines plus tard, une très discrète mise en garde de la commission des sondages révélait que ces chiffres avaient été obtenus à partir d’un sous-échantillon de… 148 personnes.
L’idée s’est néanmoins installée que Marine Le Pen, dont un des slogans de campagne la dépeint comme « la voix du peuple » , serait la championne des classes populaires. Elle est même confortée dans ce rôle quand la présidente du Medef, Laurence Parisot, la prend pour cible dans tout un essai, Un piège bleu marine (coécrit avec Rose Lapresle, Calmann-Lévy). Ou quand la fondation Terra Nova estime, dans une note fameuse publiée au printemps dernier, que le FN a basculé sur « un programme de protection économique et sociale équivalent à celui du Front de gauche » . Pas moins.
Certes, comme l’a dénoncé dans un communiqué une secrétaire nationale du Parti de gauche, Laurence Sauvage, le mois dernier, la présidente du FN pille à grande échelle le vocabulaire et les références du Front de gauche, dont elle reprend mot pour mot le slogan « rendre visibles les invisibles » . En mai, on l’a vue annoncer une « nouvelle nuit du 4 Août » et promettre d’interdire, si elle était élue, les « stock-options, les retraites chapeaux et les parachutes dorés » . Pour Abel Mestre et Caroline Monnot, journalistes au quotidien le Monde, elle « braconne beaucoup sur les terres de gauche » , cite l’économiste Thomas Piketty ou Jacques Nikonoff. « Elle parle encore , notent-ils, de “partage de la valeur ajoutée”, condamne “les puissances de l’argent” et évoque une “répartition plus équitable des superprofits” lors d’une conférence de presse » en mars 2011.
À première vue, « le discours du FN semble opposé à “l’ultralibéralisme”, que Marine Le Pen ne cesse de fustiger » , reconnaît Laurent Maffeïs dans les Cinq Mensonges du Front national (Bruno Leprince). Mais le directeur de cabinet de Jean-Luc Mélenchon montre aisément que, « derrière cette posture, le FN dissimule des propositions qui sont très classiquement libérales » . Ainsi en est-il de l’obsession, partagée avec le Medef et l’UMP, de réduire le coût du travail, qui a conduit le FN à envisager dans ses grandes orientations économiques de supprimer les cotisations sociales en les intégrant dans l’impôt sur les sociétés pour la part patronale et dans l’impôt sur le revenu pour la part salariale, avec le risque de désanctuariser le budget de la Sécurité sociale.
Marine Le Pen concède que le Smic est trop faible mais n’envisage pas de l’augmenter. Et elle est opposée à tout plafonnement des salaires, une « fausse bonne idée, version soviétique » , selon elle. Si son programme est muet sur la précarité au travail, il propose de rétablir l’apprentissage dès 14 ans. Il envisage de développer le capitalisme populaire, cette vieille antienne de la droite, par l’instauration d’une « réserve légale de titres » afin « de reconnaître au personnel une part de propriété dans l’entreprise » mais… « sans droit de vote » . Mme Le Pen entonne aussi une rengaine du Medef contre les « effets de seuils pervers » ; elle souhaite les « lisser » , ce qui aurait pour effet de diminuer la représentation des personnels dans les entreprises.
Quelles que soient les évolutions du discours frontiste, la haine des syndicats reste une constante. En pleine mobilisation sociale contre la réforme des retraites, et alors qu’elle prétendait défendre « le droit au départ à 60 ans avec 40 annuités de cotisation » , Marine Le Pen dénonçait, le 22 octobre 2010, « la surenchère factice organisée par des syndicats délégitimés » en prétendant, comme le gouvernement, que le mouvement social ne conduit « à rien d’autre qu’aux dérapages et au chaos » .