Mme Le Pen fait dans le social
Nouvelles instances de direction et changement de style. Marine Le Pen fait tout pour dédiaboliser son parti. Mais l’idéologie xénophobe est toujours là.
dans l’hebdo N° 1185 Acheter ce numéro
En prenant les commandes du Front national, Marine Le Pen s’est fixé pour objectif de « dédiaboliser » l’image de la formation politique héritée de son père. Un an plus tard, les difficultés rencontrées par la présidente du FN pour recueillir les parrainages nécessaires à la validation de sa candidature à l’élection présidentielle ou la manifestation organisée dimanche contre sa venue à Saint-Denis traduisent un résultat à tout le moins mitigé. Mme Le Pen, « produit nouveau sur le marché politique » , selon Louis Aliot, son compagnon, et sa formation politique sentent toujours le soufre. En dépit de quelques changements.
Le premier concerne la direction du FN. Bruno Gollnisch et ses partisans ayant refusé d’y participer, le retrait volontaire de ces tenants de la vieille extrême droite a laissé carte blanche à la nouvelle présidente du FN pour procéder à un large renouvellement des instances de direction. Ce dont elle ne s’est pas privée, procédant même à quelques exclusions du mouvement. Surtout, l’existence de cercles d’influence extérieurs (experts, hauts fonctionnaires…), la disparition de la flamme tricolore à l’université d’été, rebaptisée « journées d’été Marine 2012 », l’ouverture, dans ses premiers meetings de campagne, à des personnalités externes (Gilles Collard, Paul-Marie Coûteaux…) en vue des législatives, et la location de bureaux dans le très chic VIIIe arrondissement pour y loger l’équipe présidentielle hors de toute référence au FN, ont pu faire croire que Mme Le Pen prenait ses distances avec son parti. À tort. En 1985-1986, pour pallier l’absence de cadres politiques, Jean-Marie Le Pen avait lui aussi largement ouvert les portes à des notables et à des déçus de la droite. Et pour la présidentielle de 1988, il avait pris ses quartiers avenue Marceau. On connaît la suite.
Et pourtant la différence de style avec son père est indéniable. La semaine dernière, présentant ses vœux à la presse, Marine Le Pen s’appuie sur le dernier classement de Reporters sans frontières pour déplorer qu’en matière de liberté de la presse, « régulièrement, la France recule dans les classements internationaux » . Et appelle à « mettre fin à cette anomalie » qui voit « le clan Sarkozy [tenir] une bonne partie de la presse » . Pourtant, deux jours plus tard, elle lui laisse le soin de prononcer un très traditionnel hommage à Jeanne d’Arc au pied de la statue de la pucelle, place des Pyramides.
Continuer à séduire les militants de longue date et convaincre de nouveaux partisans. Telle est depuis un an l’équation que Marine Le Pen tente de résoudre. Pour convaincre que son parti est capable de diriger le pays, elle s’est ainsi risquée à développer un discours sur l’économie et le social. Effet garanti dans le petit monde des commentateurs et interviewers, qui soulignent jusqu’à saturation cette « nouveauté ». Non sans oublier que, fin 1995 déjà, un conseil national du FN avait décidé qu’aux côtés de l’immigration et de la sécurité, la thématique économique et sociale devait constituer le « troisième pilier » du FN. Ni toujours voir que ce nouveau discours sert l’ancien. En 1978, Jean-Marie Le Pen avait emprunté au nazisme une formule choc qui allait suivre la courbe du chômage : « Un million de chômeurs, c’est un million d’immigrés de trop ! » Trente-trois ans plus tard, c’est un raccourci similaire que teste Marine Le Pen un soir de meeting à Bompas (Pyrénées-Orientales) : « Comme l’ont confirmé toutes les études, 1 % d’immigration en plus, c’est 1,2 % de salaires en moins. »
Jouant de la sémantique et des symboles, Marine Le Pen reformule les propositions de son parti. « Toute la politique sociale du FN s’articule autour de la préférence nationale » , rappellent Abel Mestre et Caroline Monnot dans le Système Le Pen (Denoël). Il s’agit de l’ « axe majeur de son programme, selon lequel […] il faut réserver aux seuls “Français la priorité d’accès à l’emploi, aux aides, au logement”. » Or, ce principe est un principe xénophobe. Contraire à la Constitution et aux dispositions européennes, il découle d’une vision ethnique de la nation, fondée sur le droit du sang. Pour tenter de rendre cette « préférence » acceptable, Marine Le Pen voudrait la remplacer par une « priorité citoyenne » , « pour éviter que certains ne pensent que nous réservons la protection sociale aux seuls Français de souche » , explique-t-elle (l’Express, 8 juin 2011). Parfois, elle parle de « protectionnisme social » . Cela ne change rien au fond du discours.
Il est un domaine, en revanche, où Marine Le Pen semble avoir davantage poussé la différenciation filiale, et très vite : celui des relations avec la communauté juive. Sans critiquer celui qu’elle appelle « Le Pen » ou lui faire le moindre reproche public. Deux petites phrases lâchées dans un entretien au Point, le 3 février 2011, moins d’un mois après sa prise de fonction, ont suffi à fissurer le bloc que les associations juives formaient autour du FN : « Tout le monde sait ce qui s’est passé dans les camps et dans quelles conditions. Ce qui s’y est passé est le summum de la barbarie. » Quelques jours après, elle est officiellement invitée sur Radio J avant que des protestations multiples, notamment du Crif, conduisent la station à annuler son invitation.
Début novembre, Marine Le Pen fait une autre approche. Aux États-Unis, cette fois. Elle y rencontre Ron Prosor, l’ambassadeur d’Israël à l’ONU, lors d’un déjeuner au siège de l’organisation internationale. Avant d’être désavoué par son gouvernement, ce diplomate de haut rang aura pris le temps de poser avec elle devant le photographe de l’AFP. À Palm Beach, en Floride, la présidente du FN a aussi participé à une vaste réception organisée en son honneur par William J. Diamond, ancien numéro trois de la mairie de New York (durant les mandats de Rudolph Giuliani) et membre influent des réseaux américano-israéliens.
Sans effet immédiat, ces rencontres facilitées par une inquiétude commune face au « printemps arabe » renforcent le pari de Mme Le Pen selon lequel la « normalisation » de son parti pourrait venir de la communauté juive.