Vers un système bancaire différent
Des alternatives au système bancaire capitaliste pourraient prendre leur essor si la logique de nos sociétés n’était plus seulement le profit.
dans l’hebdo N° 1185 Acheter ce numéro
Dans le vaste ensemble des 430 établissements bancaires recensés en France en 2011, il est difficile de discerner les possibilités d’une alternative à la banque capitaliste. Comme le rappellent le sociologue Daniel Bachet et l’économiste Philippe Naszályi, qui ont codirigé l’Autre Finance , les banques classiques et les banques coopératives et mutualistes sont regroupées depuis 2010 en une seule organisation professionnelle, la Fédération bancaire française (FBF). La diversité bancaire n’est, en fait, plus de mise depuis l’entrée en vigueur, en 1984, de la loi bancaire qui a ouvert la voie à ce que l’on a appelé alors la banalisation du système bancaire mutualiste et coopératif. Et ce bouleversement a accompagné la dérégulation des marchés financiers.
L’enjeu actuel est donc « de mettre en place les règles et le contexte qui favorisent un arbitrage en faveur de la coopération et de la solidarité plutôt que de la compétition et de la concurrence » , défendent Daniel Bachet et Philippe Naszályi. La question est de savoir de quelles banques les systèmes socioproductifs ont vraiment besoin, car la banque capitaliste que nous avons connue ces dernières années pose un problème majeur : elle est formée d’oligopoles qui sont devenus les seuls véritables opérateurs des marchés monétaires et financiers mondiaux.
L’émergence de ces oligopoles vient de la privatisation à partir de 1986 des banques nationalisées, puis de leur transformation en sociétés financières et en groupes financiers diversifiés, responsables de la crise financière actuelle. Les gouvernements ont de plus fait le choix de transformer une crise de surendettement privé en une crise de surendettement public. Les pertes des spéculateurs ont été simplement converties en nouvelles charges publiques.
Les auteurs pensent qu’il est possible de sortir de cette crise de l’endettement en refondant les règles du financement de l’économie pour répondre aux besoins des entreprises et des ménages dans un esprit de sécurité et de progrès social. Plusieurs options sont envisageables, en particulier celle du financement de l’économie par les banques de l’économie sociale et solidaire, loin d’être marginales. En France, 60 % des dépôts sont placés dans des banques coopératives ou mutuelles. Plus de 300 000 salariés travaillent dans ces coopératives bancaires, qui comprennent 18 millions de sociétaires et 62 millions de comptes clients.
Certes, ces banques ne sont pas forcément des modèles de vertu : les sociétaires sont le plus souvent écartés, et leur pouvoir délégué aux présidents et administrateurs des caisses. Ainsi, les dirigeants des grandes banques coopératives, en particulier le groupe Banques populaires-Caisses d’épargne (BPCE), le Crédit agricole et le Crédit mutuel, ont-ils cédé à la tentation de copier les comportements des banques capitalistes. On se souvient de la recapitalisation massive du groupe BPCE et de l’implication de leur filiale Natixis dans les subprimes.
C’est pourquoi le collectif « Agir pour une économie équitable » (1) a été créé en France pour inciter les électeurs et les sociétaires à être présents et actifs dans les assemblées générales des banques coopératives et mutualistes.
Les auteurs s’interrogent aussi sur les modes de financement proposés par l’économie sociale : sont-ils en mesure de répondre à des besoins que la finance de marché ne peut satisfaire ? Moins prisonnière du court terme et de la rentabilité démesurée, cette finance sociale et solidaire peut s’organiser selon des principes démocratiques et soutenir une consommation citoyenne près des lieux de production. La coopération peut ainsi se développer localement, « de manière décentralisée et horizontale au sein de circuits courts, afin de veiller à une meilleure réappropriation des produits » .
Depuis quelques années sont ainsi apparus de nouveaux instruments financiers qui ne sont pas fondés sur le court terme et la rentabilité maximale. Mais la généralisation de ces pratiques n’est pas en mesure de contribuer à la refondation du système financier actuel, ni de participer au développement d’une économie au service du progrès humain. « Il semble en revanche que la mise en place de pôles financiers publics soit bien plus efficace que l’appui des investisseurs traditionnels pour promouvoir la finance solidaire, les échanges équilibrés et les énergies renouvelables, surtout si l’on assigne à ces pôles financiers publics des objectifs sociaux, éthiques et économiques renouvelés », avance l’ouvrage.
Ainsi, la complémentarité entre les propositions de financement de l’économie sociale et solidaire et l’action volontaire des pouvoirs publics en faveur d’un système bancaire public serait une voie sérieuse pour échapper à l’emprise de la financiarisation. « Le contrôle public sur la quantité et sur l’orientation du crédit devrait être un objectif essentiel de cette action volontaire » . En effet, il reste encore la possibilité de socialiser le crédit, comme l’a souligné l’économiste Frédéric Lordon, et de le démocratiser. La finance solidaire peut y jouer un rôle décisif.
L’objectif est de faire en sorte « que les banques capitalistes ne soient plus en mesure d’imposer leur logique financière sur des logiques de court terme. L’économie ne serait plus seulement capitaliste » . Elle pourrait être alors plurielle et intégrer une combinaison diversifiée de solutions : « Un secteur socialisé du crédit, un pôle public de banques nationales spécialisées, un secteur coopératif et mutualiste, mais aussi des banques privées encadrées par des politiques publiques. »
L’ouvrage rappelle que les formes de financement propres à l’économie sociale et solidaire prendront leur essor si la logique principale de nos sociétés n’est plus exclusivement celle du profit. Ces alternatives sont en tout cas une source d’inspiration pour transformer la finance capitaliste.