Vies à bascule

Trois pièces courtes de l’Australien Daniel Keene par Didier Bezace, explorant des face-à-face bouleversants.

Gilles Costaz  • 5 janvier 2012 abonné·es

Trois moments. Trois duos. Trois types d’humanité. À chaque fois, des humbles qui ont autant de difficultés avec la notion de bonheur qu’avec la réalité du malheur. Des murs noirs, conçus par Jean Haas, se déplacent dans l’espace pour compartimenter leur petit univers.

Acte un : un père (Patrick Catalifo) et son petit garçon (Maxime Chevalier-Martinot ou Simon Gérin, en alternance) se retrouvent alors que le premier n’a pas la garde du second. Le père, dans un café, un jardin au bord d’un fleuve, dans sa chambre, ne sait plus parler à son fils. Des deux, c’est l’enfant le plus bavard. Ils se rapprochent un peu, de façon infinitésimale mais visible.
Acte deux : un couple d’hommes se touche à tâtons dans une chambre d’hôtel. Le plus âgé, un bourgeois qui fait de petites affaires (Daniel Delabesse), a proposé de l’argent au plus jeune, un ouvrier (Thierry Levaret). Celui-ci veut sa ­rémunération de suite, la réclame à voix haute. L’autre rêve d’une relation qui ne serait pas épisodique, propose des versements réguliers. L’un veut de l’amour, l’autre du fric. La nuit va changer leurs rapports. Toujours de façon minuscule mais perceptible.

Acte trois : une femme âgée (Geneviève Mnich) ne peut rester toute seule ; sa fille l’emmène chez elle. La première nuit dans une chambre inconnue est terrible pour la mère, et tout autant pour la fille (Sylvie Debrun), dont les efforts semblent n’avoir servi à rien. Mais il y a un espoir. Ténu mais sensible, derrière les mots et les silences.

Didier Bezace a choisi trois textes de trois quarts d’heure dans l’œuvre de l’Australien Daniel Keene, qu’il a déjà si bien servie. Il a mis en scène Un soir, une ville … comme s’il surprenait trois instants d’une fausse immobilité, trois face-à-face figés par la crainte, trois basculements millimétrés qu’il donne à deviner plus qu’à voir.

Tous les acteurs, merveilleux, font jouer cette vibration incertaine à première vue et si évidente à qui entre avec eux dans la douleur. Daniel Delabesse et Geneviève Mnich sont sans doute ceux qui nous émeuvent le plus, avec des rôles d’une plus grande métamorphose. Tout ici est admirablement fait pour que le bouleversement intime des personnages se propage jusque sous la peau du spectateur.

Théâtre
Temps de lecture : 2 minutes