Votez Jules Ferry !
dans l’hebdo N° 1187 Acheter ce numéro
Disons-le sans ambages et sans réserves : pour un beau discours, ce fut un beau discours ! C’est avec mention que François Hollande a réussi dimanche son examen d’entrée en campagne. Ceux qui aiment l’art oratoire auront goûté cette rhétorique, certes un peu désuète, mais finement travaillée. Ils auront apprécié ce respect très classique des lois du genre, ce souffle sans trop d’emphase, cet équilibre jamais mièvre. On aurait dit du Mélenchon…
Il ne s’agit pas ici de savoir si le candidat y croit – il semblait y croire et il a sans doute emporté l’adhésion de son auditoire bien au-delà de la halle du Bourget. Sa sincérité, et même son authenticité, dans l’évocation des origines conservatrices de sa famille, de son rapport au pouvoir ( « je ne suis pas vorace » ), de sa philosophie personnelle ( « j’aime les gens, pas l’argent » ), ont souvent fait mouche. Mais son discours a surtout été habile. Quoi que l’on ne sache plus depuis Mitterrand si l’habileté est un vice ou une vertu. Acceptons-en ici encore l’ambiguïté. Habile, donc, dans l’évocation de ses adversaires, reconnaissables et pourtant jamais nommés. Habile, dans cette façon de décliner l’art de « présider la République », en tout à l’exact opposé de ce que dit et fait l’actuel chef de l’État. Habile dans cette exaltation de la République qui fait vibrer si fort la corde nationale sans trop paraître nationaliste, et que l’on perçoit chez nous (abusivement) comme un antidote aux racismes ordinaires… François Hollande a fait se dresser la salle lorsqu’il a annoncé qu’il allait intégrer la loi de 1905 à la Constitution.
Parmi les critiques décochées ensuite par la droite, une seule, à mon sens, est pertinente. Celle qui reprochait au discours du Bourget son caractère « intemporel ». Oui, ce beau morceau de bravoure fleurait bon la Troisième République. C’était un peu : « Votez Jules Ferry ! » Mais on peut se demander si le reproche ne sonne pas aux oreilles de nos concitoyens comme un compliment. Au sortir d’une décennie qui a tellement magnifié la fausse « réforme », loué le « mouvement pour le mouvement », vendu la régression sociale pour de la « modernité », promu l’allongement de la durée du travail à rebours de l’histoire, ce « retour vers le futur » n’est-il pas plutôt rassurant ? Comme cette réappropriation des mots de la tradition sociale (« égalité » plutôt qu’« équité »).
Dans son ardeur rétro, François Hollande a même réinventé imprudemment ce « progrès » que les écologistes nous ont, avec juste raison, appris à interroger. Mais, après Sarkozy, et quel que scepticisme que ces concepts nous inspirent, il était réconfortant d’entendre cela. Comme il était évidemment plaisant d’entendre le candidat socialiste, dans une brillante envolée, déclarer la guerre à la finance. C’est à cet instant qu’il a le mieux accrédité l’idée d’un grand coup de barre à gauche. Une idée qui comporte une petite part de réalité, et une bonne part d’illusion. Mais, là encore, la musique a couvert la réalité des mots. Car l’orateur, après avoir suscité l’enthousiasme, n’a jamais oublié d’être prudent.
En dépit de notre incurable scepticisme, instruit par l’histoire du parti socialiste, de Guy Mollet à Mitterrand, deuxième époque, de ses reculades et parfois de ses trahisons, nous devons reconnaître à François Hollande une qualité qui n’a pas de prix. Cet homme-là ne changera peut-être pas la vie, mais il est tout à fait capable de faire mordre la poussière à Sarkozy et de ramener ces cinq dernières années au rang d’accident de l’Histoire. Depuis dimanche, nous en sommes convaincus. Cela n’en fera sans doute pas pour nous un candidat de premier tour, mais c’est toujours bon à savoir…
Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.