Chauffage : l’aberration électrique

Les journées de grand froid mettent en évidence les risques de coupure et l’impasse du système électrique français. Reposant sur le nucléaire, celui-ci est en surproduction l’été, en pénurie l’hiver.

Elodie Corvée  • 16 février 2012 abonné·es

Nouveau record : la puissance appelée sur le réseau électrique a culminé à 101 700 mégawatts (MW) mercredi 9 février en France. « Ce pic a été franchi sans difficulté pour le système électrique grâce à la mobilisation de tous les acteurs » , commentait Éric Besson, ministre de l’Industrie.

Un discours faussement rassurant : les appels à la solidarité lancés aux foyers pour qu’ils modèrent leur consommation n’étaient pas feints. Car, à chaque période de grand froid, la saturation du réseau guette, avec des risques réels de coupure à grande échelle. Cette fragilité devrait s’aggraver dans les années à venir.
La France a fait le choix du nucléaire comme filière hégémonique de production de l’électricité – plus de 75 % aujourd’hui, une singularité mondiale. Conjointement, depuis les années 1980, EDF a lourdement incité au chauffage électrique pour justifier un suréquipement patent en centrales nucléaires [^2].

Cette surproduction est exportée une partie de l’année : les réacteurs nucléaires s’accommodent mal d’une modulation de leur puissance, ils fonctionnent toujours au maximum.
Mais – aberration découlant de ces choix –, le parc se révèle trop juste en période de grand froid quand la demande en chauffage explose. Vers 19 heures, quand la majorité des Français sont rentrés chez eux et que les appareils tournent à plein, la pointe de consommation représente près d’un tiers de la demande totale ! La France dispose de quelques vieilles centrales à gaz ou à charbon d’appoint, rapidement activables (et modulables), mais c’est insuffisant : il faut importer de l’électricité, notamment en provenance des centrales au charbon d’Allemagne.
Stephen Kerckhove, délégué général d’Agir pour l’environnement, dénonce « le couple infernal “chauffage électrique/nucléaire”, qui solidarise la consommation électrique avec la courbe des températures » . Une baisse d’un degré en hiver provoque un appel de 2 300 MW électriques supplémentaires sur le réseau – trois à quatre fois plus que chez nos voisins !

Le chauffage électrique équipe plus de 30 % du parc immobilier en France, et le pays accélère même dans cette voie désastreuse : plus des trois quarts des nouveaux logements en ont été pourvus en 2009 !
Par ailleurs, le système électrique français, organisé autour de ses 19 centrales nucléaires, dépend de milliers de kilomètres de lignes à très haute tension qui acheminent l’énergie vers les centres de consommation. Par forte intempérie hivernale (comme lors des tempêtes de 1999), la mise hors service d’une de ces grosses artères isole des ­milliers de foyers.

De plus, la France importe l’électricité à des périodes où la demande sur le marché est la plus forte. D’autant que son principal fournisseur, l’Allemagne, a décidé l’arrêt progressif de ses centrales après la catastrophe de Fukushima. Les capacités exportatrices du pays devraient donc se réduire fortement (l’Allemagne a même dû temporairement réactiver des réacteurs débranchés en août dernier).
Pour l’instant, les tarifs restent encadrés en France, ce qui évite de trop grosses répercussions sur la facture des ménages. Mais la Commission de régulation de l’énergie estime qu’ils augmenteront en France de 30 % d’ici à 2016, car EDF va devoir investir massivement pour donner un coup de jouvence à ses vieux réacteurs, dont plus de vingt dépasseront en 2012 les 30 ans – âge initialement prévu pour leur retraite –, et pour mettre à niveau la sûreté à la suite de l’accident de Fukushima.

Franck Dimitropoulos, animateur du Réseau des acteurs de la pauvreté et de la précarité énergétique dans le logement (Rappel), s’inquiète : « Les plus modestes qui louent dans le privé vont subir ces hausses de plein fouet. Contrairement au parc public, ces logements sont chers, mal isolés thermiquement et majoritairement équipés en chauffage électrique. »

Cette précarité énergétique toucherait 8 millions de personnes en France. De nombreuses familles n’ont déjà plus les moyens de se chauffer, un phénomène qui pourrait s’aggraver fortement dans les années à venir.

[^2]: Ce mode de chauffage est par ailleurs calamiteux : il faut consommer 3 kilowattheures d’énergie pour produire un kilowattheure de chauffage électrique. Au point que cette pratique est interdite dans certains pays.

Écologie
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