Fukushima : les antinucléaires sur la brèche

Au Japon, la conférence mondiale pour la sortie du nucléaire a souligné les insuffisances des pouvoirs publics dans la prise en charge des suites de la catastrophe. Les Japonais se mobilisent pour lutter contre l’atome.

Matthieu Gaulène  • 2 février 2012 abonné·es

«Je veux savoir ce qui est le plus important pour les hommes politiques. L’argent ou bien nos vies ? Je ne veux pas tomber malade, je ne veux pas mourir. » Yûri Tomitsuka,10 ans, fait partie des dizaines de milliers de personnes évacuées de Fukushima. C’est par son témoignage qu’a débuté la conférence mondiale pour la sortie du nucléaire, les 14 et 15 janvier dans la ville de Yokohama, au sud de Tokyo. Une conférence orientée vers la sortie du nucléaire et l’utilisation d’énergies renouvelables, mais aussi vers la prise en charge immédiate du problème de la contamination radioactive.

Organisée à l’initiative de six ONG, dont l’organisation pacifiste Peace Boat et le Citizen’s Nuclear Information Center (Cnic), cette conférence a rassemblé sur deux jours plus de 10 000 personnes, dont une centaine d’intervenants venant de 30 pays. Les interventions étaient diffusées en temps réel sur le site Internet de la manifestation, qui a connu plus de 100 000 connexions en deux jours.

Samedi après-midi, plusieurs milliers de personnes ont également défilé dans les rues de Yokohama. Outre des scientifiques et des essayistes japonais de renom, de nombreux artistes japonais étaient présents – musiciens, cinéastes ou mangakas. Les antinucléaires japonais ont ainsi fait entendre leur voix et donné une dimension internationale à leur lutte.

La rencontre de Yokohama a été l’occasion de prendre à bras-le-corps les problèmes directs auxquels font face les Japonais vivant dans les zones contaminées. « Dans la préfecture de Fukushima, soulignent les ­participants dans la déclaration finale, des traces d’éléments radioactifs ont été trouvées dans le lait maternel ou l’urine des enfants. Les vies sont menacées, en particulier celles des futures générations, et l’économie régionale a été détruite. »

La déclaration finale demande plus de transparence de la part de Tepco et du gouvernement, le droit pour les personnes affectées d’être évacuées et soignées, et de pouvoir vivre dans les mêmes conditions qu’avant le 11 mars 2011. Les participants ont également insisté pour que des mesures de radioactivité des personnes, des aliments et de l’environnement soient menées de manière systématique. C’est aujourd’hui loin d’être le cas, les mesures n’intervenant, le plus souvent, que lorsqu’un scandale de contamination radioactive survient.

Les antinucléaires ont également insisté sur la nécessité de coordonner une sortie du nucléaire à l’échelle mondiale en s’attaquant à tous les secteurs de cette industrie, de l’extraction d’uranium à la ­gestion des déchets. « Le mythe de la sécurité a été détruit. La technologie nucléaire n’a pu survivre que par l’apport de subventions massives des États. » Praful Bidwai, journaliste indien, a critiqué l’accord de coopération nucléaire signé le mois dernier entre le Japon et l’Inde. Le Japon ambitionne en effet d’exporter sa technologie, en direction notamment des pays d’Asie.

La conférence se voulait également le point de départ d’une série d’actions qui auront lieu à travers le monde le 11 mars 2012, pour commémorer le premier anniversaire de la catastrophe. Les antinucléaires prévoient de se coordonner via un site Internet intitulé « la forêt des actions pour un monde sans nucléaire » .

Lors d’une conférence de presse d’élus locaux, certains maires de la préfecture de Fukushima ont souligné le manque de rigueur de la part du gouvernement dans la recherche des zones contaminées. Is veulent désormais former un réseau ­national des villes opposées à la remise en fonctionnement des réacteurs nucléaires en arrêt de maintenance. Aujourd’hui, seuls 5 réacteurs sur 54 sont en fonctionnement, et ils devraient être tous arrêtés d’ici au mois de mai.

Ainsi, le Japon réussit, involontairement, à sortir du nucléaire en une seule année ! L’administration en place est cependant décidée à poursuivre sur la voie de l’atome. Le gouvernement s’apprête à faire voter une loi qui permettrait de prolonger de vingt ans l’exploitation des réacteurs nucléaires, faisant passer leur durée de vie de quarante à soixante ans.

Selon les sondages, la population japonaise est désormais fermement opposée au nucléaire. L’argument du caractère « indispensable » de cette énergie ne fait plus recette. Les Japonais constatent avec surprise qu’il n’y a aucun changement d’ampleur dans leur vie quotidienne, à part que les néons de Shibuya brillent un peu moins ! Les mesures adoptées par le gouvernement, telles que le « warm biz » ou la hausse des prix de l’électricité de 17 %, concernent les entreprises et non les citoyens. Certes, il n’a échappé à personne que cela n’est possible qu’au prix d’une remise en route des centrales à gaz ou à pétrole, mais les Japonais ne veulent pas de retour en arrière : ils regardent aujourd’hui vers les énergies renouvelables et rêvent de relancer leur économie en devenant leaders dans ce domaine. Très loin du modèle français, donc : leur intérêt se tourne plutôt vers l’exemple allemand.

Le succès de cette conférence prouve que le débat est loin d’être terminé au Japon. Deux jours après la clôture de celle-ci, un nouveau scandale éclatait dans l’archipel : du béton radioactif en provenance d’une carrière proche de la centrale de Fukushima Daiichi a été vendu à plus de 200 entreprises du bâtiment jusqu’au 22 avril, date à laquelle la préfecture de Fukushima a enfin fait arrêter l’extraction de la roche. Résultat : on découvre jour après jour des immeubles, routes ou écoles construits avec ce béton radioactif. Selon une première enquête, une centaine de bâtiments sont concernés.

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