Gays : la tentation bleu marine 

Une étude du Cevipof et un ouvrage de Didier Lestrade soulignent la montée d’un « homonationalisme » chez les personnes homosexuelles.

Olivier Doubre  • 23 février 2012 abonné·es

Démarche assez nouvelle en France, une enquête sur la sociologie électorale des « gays, bis et lesbiennes » vient d’être publiée par le très sérieux Centre d’études de la vie politique française (Cevipof) de Sciences-Po et du CNRS (1). Son auteur, le chercheur François Kraus, souligne d’emblée combien, dans notre République « une et indivisible » , ce type d’études « consacrées à l’influence de l’orientation sexuelle sur les comportements électoraux sont rares, voire inexistantes » . Menée en octobre dernier auprès de plus de 9 500 personnes, l’étude confirme le « profond ancrage à gauche de ces minorités sexuelles » , avec plus de 49,5 % d’intentions de vote en faveur des candidats de gauche (contre 40,5 % pour l’ensemble des Français), et même 53 % pour les personnes se déclarant « exclusivement » homosexuelles. Un ancrage a priori attendu de par leur histoire particulière.

Mais cette étude révèle cependant un « fait marquant et partiellement contre-intuitif » , même si, ici, il ne diffère pas de l’ensemble de la population française : « La tentation de l’extrême droite est aussi forte dans les rangs affirmant une part d’homosexualité (17 % des homosexuels, 20 % chez les bisexuels) que chez l’ensemble des Français, Marine Le Pen recueillant le même nombre de suffrages chez les hétérosexuels (19,5 %) que chez les non-hétérosexuels (19 %). »

Cette évolution n’a pas échappé à Didier Lestrade, fin observateur de la communauté homosexuelle depuis trois décennies, militant gay et fondateur en 1989 d’Act Up-Paris, l’association la plus radicale et la plus créative de la lutte contre le sida en France (avec laquelle il a toutefois rompu en 2002). Il y consacre un brillant petit essai, d’une plume aussi alerte que celle de ses précédents livres, depuis Act Up, une histoire (Denoël, 2000) ou Cheikh, journal de campagne (Flammarion, 2007). Seul son titre pourrait au départ induire en erreur : Pourquoi les gays sont passés à droite. Sans point d’interrogation. Cette affirmation se veut sans doute davantage sociologique que proprement indicatrice d’une orientation précise sur l’échiquier politique.

L’étude du Cevipof souligne en effet que, si les gays et les lesbiennes s’apprêtent bien, pour 20 % d’entre eux, à voter pour la candidate du FN, ils conservent une claire « distance à l’égard de la droite parlementaire  ». Didier Lestrade analyse toutefois les évolutions de ce que l’on appelle désormais la « communauté LGBT » (pour lesbiennes, gays, bi et trans), en relevant notamment son attirance pour un discours anti-musulman. Ce qu’il appelle aussi un certain « homonationalisme » , quand certains gays « se retrouvent dans le discours de ces partis d’extrême droite “nouvelle manière” » , apparus d’abord en Hollande avec Pim Fortuyn, remplacé après son assassinat par Geert Wilders. Tous deux, dont le discours vise essentiellement l’islam, s’affichent clairement en tant que gays, et leur racisme, « devient d’autant plus acceptable qu’il s’adosse à une défense des valeurs libérales et progressistes de l’Europe ». Entendez par là : égalité hommes-femmes, laïcité, voire (en le disant vite) liberté de conscience…
Marine Le Pen ne s’y est pas trompée. Désormais, à la différence de son père, « elle drague les gays pour les attirer sur le terrain de la critique de l’islam » . Ainsi, dans un discours à Lyon le 10 décembre 2010, la dirigeante du FN glisse : « J’entends de plus en plus de témoignages sur le fait que, dans certains quartiers, il ne fait pas bon être femme, ni homosexuel, ni juif, ni même français ou blanc. » Le tour est joué…

Aussi, Didier Lestrade, en parfait connaisseur de l’histoire de sa communauté, met en garde celle-ci contre cette « instrumentalisation de la cause LGBT contre d’autres minorités » : « C’est la première fois que cela arrive dans l’histoire gay. » Mais il relève également le rôle, dans ce glissement nauséabond, de certains journalistes en vue, dont on connaît l’orientation sexuelle, Caroline Fourest et Joseph Macé-Scaron en premier lieu, dont les prises de position, prétendument « anticommunautaristes » , ne cessent, avec quelques précautions de langage, de multiplier les attaques contre l’islam.

Selon l’auteur, ces « darlings » de la presse écrite et du petit écran agissent selon la « même logique : “Je suis gay ou lesbienne et je tire un profit substantiel et concret de la différence lesbienne ou gay, que j’offre aux partis au pouvoir ; mais je n’en fais pas publicité, surtout pas” »  ! Car, pour Didier Lestrade, la dérive réactionnaire de certains homosexuels vient d’abord du fait que nombre d’entre eux restent « au placard » , c’est-à-dire qu’ils ne disent jamais qu’ils sont gays, et surtout ont choisi d’y rester pour mieux conserver privilèges et richesse. Un « placard doré, celui de la lâcheté et du mensonge » . En menant « une vie moins engagée, plus lâche, plus égoïste » . Un repli sur soi finalement bien de notre époque, celle du bling-bling et du néolibéralisme réactionnaire. Pour une partie d’entre eux, les gays y adhèrent, hélas, aussi.

Idées
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