La perte de la triple hase
dans l’hebdo N° 1191 Acheter ce numéro
Alors là, mon vieux Bugs, ça me brûle les lièvres, il faut que je te raconte ce qui s’est passé le 13 janvier dernier, au terrier de l’Élysée. Ça s’est mis à trottiner dans tous les sens, ça s’affolait dans les galeries. « Sarkoco a perdu sa triple hase ! », « Sarkoco a perdu sa triple hase ! » , couinait Guaino Lapin, affolé. Il s’époumonait en faisant d’énormes bonds, cherchant à attirer l’attention de tout le monde sur la disparition, aussi soudaine qu’inexpliquée, de Carlhase, Nhasedine et Rhaselyne. La perte des trois hases en même temps, ça n’était jamais arrivé ! Tu imagines le buzz, Bugs : la nana du Président (de lapin), la porte-carotte du gouvernement, et l’ancienne ministre de l’Hase hantée (juste avant Clapier Bertrand) ! Squarcini Grandes Oreilles s’est précipité sur son téléphone et a appelé son patron, le procureur Courrâble. Selon lui, ça sentait le coup fourrure. « Et si c’était une vengeance des laboratoires Civet, après l’affaire du Médentor ? » , a-t-il suggéré. « Ils ont besoin de femelles, en ce moment, pour tester leurs nouveaux extenseurs dermiques. M’étonnerait pas qu’ils fassent ça sur léporidés. » Courrâble lui a demandé de rester poli, mais, affaibli par une fin de clairière entachée de scandales, il a décidé que l’affaire ne méritait pas examen.
Sarkoco, de son côté, tentait de faire bonne figure, mais le cœur n’y était pas. Un malheur ne venant jamais seul, il recevait ce jour-là Vladimir Broutine. Les deux compères s’apprêtaient à fêter le 51e anniversaire du bond dans l’espace de Youri Gagarenne. « Toi aller bien, Nicolapin ?, s’est inquiété le Grand Russe. Toi sembler avoir moral triple bas. » « – Ça va… Ça va… Et toi ? » « – Au poil ! » Puis Broutine a ajouté, en gonflant les pectoraux : « Comme rabbittude… » , sur l’air de la fameuse chanson[^2]. « Tu m’excuses quelques instants ? l’a interrompu Sarkoco. Il faut que je voie la Royale pour une affaire privée. Tiens, il y a des Playboy sur la table basse. » Broutine, l’œil gourmand tout à coup, l’a remercié d’un triple « Da ! » . Dès que Ségolièvre est entrée dans son bureau, Sarkoco l’a suppliée. « Il faut que tu m’aides. Tu es une hase, comme elles. Bien hase, en plus. Tu dois avoir une petite idée… » « Vous savez, monsieur le Président, je n’ai pas pour râblitude – tous ensemble : râ-bli-tu-de ! râ-bli-tu-de ! – d’aider la droite. Mais je veux bien faire une exception. » Elle a sorti son téléphone et appelé Angora Merkel, la chancelièvre allemande, avec qui elle s’était bélier d’amitié. « Allôôô, Angorâââ ? » « Triple Ja ! Qui est à l’appinreil ? » La Poitevine lui a expliqué la situation. Angora s’est désolée d’un triple « Ach ! » , mais, hélas, elle n’avait pas la moindre idée de ce qui avait bien pu se passer. « Où se terrent-elles, où se terrent-elles ? » , se désespérait Sarkoco. « J’ai une autre idée ! s’est exclamée Ségolièvre. Si vous demandiez à James Bonds Zéro Zéro Steppe de vous aider ? » « Bonds ? Il n’a pas une réputation un peu usurpée, celui-là ? J’ai vu son civet… franchement, il n’a pas fait tant de choses que ça, si on compare à moi ! En plus, il est anglais. Garenne Elisabeth ne voudra jamais nous le prêter ! »
Ségolièvre a claqué la porte, vexée qu’on la tanne pour rien. Sarkoco, lui, a pesté contre ces peaucialistes, incapables de démêler levraut du fait. Il a regretté de ne pas avoir appelé Eva Jojoly, pour un foie. Puis il a réfléchi. C’était peut-être le moment de tenter un grand coup. Devine qui il a contacté, mon vieux Bugs : Dominique de Vil Lapin ! Le frère ennemi ! Ils ne s’étaient pas vus depuis des lustres. Le Grand Argenté a daigné le rejoindre, un bouquin de poésie à la patte. Il a d’emblée ironisé : « Tu veux toujours me pendre à un croc de boucher ? » « Pan ! Pan ! T’es mort, gibier de potence ! » , a répliqué l’autre, en mimant Santal Goyave armée d’un fusil. Après s’être ainsi jaugés, comme Belmondo et Cremer dans « Le lapingueur » [^3], ils se sont calmés. « Tu retournes quand aux Nations Bunnies ? a demandé Sarkoco. Tu pourrais faire jouer tes relations. Tu dois connaître Sarah Lapine, du Thym Party, c’est une amie de Nhasedine, elle sait peut-être quelque chose. » « Non, je ne la connais pas. De toute façon, je ne serai pas à New York avant décembre. J’y animerai un colloque sur le développement du râble. » « Quoi ? Je ne vais pas attendre un an avant de récupérer ma triple hase… » De Vil Lapin lui a fait remarquer que, six mois auparavant, il avait déclaré que cette éventualité ne serait pas une catastrophe. « Oui, mais pas les trois en même temps ! Nhasedine, c’est vrai, on peut s’en passer, Rhaselyne, déjà un peu moins, mais Carlhase, ma Carlithase, je ne peux pas, je ne peux pas ! » « Et Pika encore ? » a répondu De Vil Lapin.
Ça y est ! Ils recommençaient à se disputer. Sarkoco détestait se faire clouer le bec par ce triple fat. Il s’apprêtait à le faire détaler, lorsque, soudain, la porte de son bureau s’est ouverte. Et devine qui s’est pointé, mon vieux Bugs, tout sourires et collet monté ? Carlhase, Nhasedine et Rhaselyne. « Vous étiez où, bande de hases ? J’étais rongeur par l’inquiétude » , a gémi Sarkoco. « Oh, mon Nikoco, s’est justifiée Carlhase, il ne fallait pas te faire du mouron, les colapines et moi n’étions pas perdues. Nous étions juste parties voir la Cage aux folles. » « La Cage aux folles… Mais pourquoi ? » « Ben, parce que ton ami Christian Clapier nous a invitées, on n’allait pas lui poser un lapin ! » « Moi, j’voulais voir un concert de Jaune Cage, a glapi Nhasedine, mais il paraît qu’il est mort ! » « Ouais, c’est ça… Et pourquoi pas Terrine Riley, pendant que tu y es ! Et d’abord, pourquoi n’avez-vous pas appelé ? » « On a oublié nos téléphones port’râbles… » , se sont-elles lamentées de conserve. Triples buses… a pensé Sarkoco.
« Ah, ah, ah ! Triple ah ! Serpoletpopette ! » , a ri De Vil Lapin, consterné par tant de légèreté dans la Sarkocosie. Puis il s’est dirigé vers la porte, s’est retourné une dernière fois, a chaussé ses lunettes noires en toisant le Président. « Bon, je me Cassegrain, a-t-il dit. La prochaine fois que tu auras besoin de moi, préviens à l’avance, je viendrai avec un régiment de Chasseurs-Lapins ! »
[^2]: « Je me lièvre/Et je te bouscule/Comme rabbittuuuuuude. »
[^3]: Un film de Philippe Lapereau, 1976.